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Read on line, follow the updates of my historic novel The Boutique Robillard, fandom of Gone with the Wind (in English, click on top)

 

 

 

Lisez en ligne mon roman historique, dans l'Amérique de 1876 : La Boutique Robillard, ma suite d'Autant en Emporte le Vent (en français)

Publié par Arlette Dambron

Charleston, début janvier 1875, Magnolias Mansion, 5 East Battery, chez les Vayton

 

Dès l’annonce par Duncan de son achat de la belle demeure de la Battery, il insista pour que sa mère et sa sœur viennent faire la visite des lieux le lendemain.

 

« Oh !  Mais c’est un véritable château ! Tu nous avais parlé d’une maison avec un jardin. En fait, il s’agit d’un palace !» Melina était extatique en admirant l’allure de la Magnolias’ Mansion.

Duncan sourit, satisfait de son petit effet : « J’avoue que je voulais vous surprendre. N’est-ce pas une beauté ? Une antebellum « single house », symbole de l’architecture de Charleston ! (*1) Dès le départ, j’avais l’intention d’en acheter une, car elles sont tellement caractéristiques avec leur pièce unique en façade. Mais l’immeuble classique à trois fenêtres côté rue me semblait un peu étroit pour nos besoins. Celle-ci en a cinq qui couvrent pareillement une seule salle. »

« Quel contraste avec notre cher Soft South ! N’est-ce pas, Mère ? Nous qui étions habitués à une enfilade de pièces sur un même étage. On se croirait dans une maison de poupée - enfin, côté rue, car, grand Dieu, ce manoir est gigantesque en longueur et hauteur. Quelle bonne idée tu as eue, mon cher frère, d’opter pour ce lieu.»

Cathleen intervint : « Je connais très bien cette magnifique demeure. Elle a été bâtie en 1848 par un ami de votre père qui possédait une importante plantation de riz. Nous y avons été invités de nombreuses fois, mais jamais je n’aurais imaginé qu’un jour nous y habiterions ! » 

Duncan commenta : « Magnolias’ Mansion est d’inspiration italianesque, un style qui était devenu très populaire au moment où elle a été bâtie. Regardez la finition du toit avec ses coupoles carrées, au-dessus de ces neuf impressionnantes fenêtres en saillie, très caractéristiques de ce mouvement romantique. » (*2)

Leurs regards s’attardaient sur chaque détail architectural.

« Melina, je vais peut-être t’apprendre quelque chose. Connais-tu le nom que l’on donne à cette avancée de fenêtres ? Eh bien ! C’est un oriel. Bon, c’est uniquement pour enrichir ton vocabulaire, Petite Sœur ! » dit Duncan d’un air taquin.

Magnolias' Mansion, 5 East Battery, Charleston, la maison de Duncan Vayton dans mon roman, en réalité la Palmer House, ou encore appelée John Ravenel house, the Battery, Charleston https://ar.trivago.com/en/charleston-34952/hotel/the-palmer-home-1543085

Magnolias' Mansion, 5 East Battery, Charleston, la maison de Duncan Vayton dans mon roman, en réalité la Palmer House, ou encore appelée John Ravenel house, the Battery, Charleston https://ar.trivago.com/en/charleston-34952/hotel/the-palmer-home-1543085

Melina en profita pour montrer à son frère qu’elle aussi connaissait bien l’histoire de sa ville. «J’adore les volets à la française peint de ce vert profond, aussi sombre qu’une forêt. J’ai appris récemment qu’on a commencé à baptiser cette couleur le « vert Charlestonien » parce que les Soldats de l’Union, à la fin de la guerre, nous avaient fait parvenir des seaux et des seaux de peinture noire pour tenter de recouvrir tout ce qu’ils avaient détérioré à Charleston pendant ces années terribles. Ils pensaient sûrement que la couleur noire masquerait leurs destructions. Mais nous ne nous sommes pas laissés faire et avons refusé de transformer notre ville souriante en couleur de deuil avec ce produit issu du pays yankee. Les Charlestoniens se sont mis à recouvrir cette peinture de jaune ou de bleu, ce qui a donné cette belle couleur verte, sombre comme l’encre. »

Melina fut satisfaite de son anecdote, même si elle n’était pas certaine à 100% de sa véracité. «Pourquoi y-a-t-il deux portes d’entrée en façade, une sous les fenêtres et l’autre sous la piazza ?»

« Ne t’y trompes pas, Melina. La porte en façade est purement fictive. Comme pour toutes les «single houses » de Charleston, nos amis et nous-mêmes entrerons par la porte placée à gauche sous le porche. Tu vois, celle au-dessus des six marches. En fait, là aussi cette porte d’entrée est en «trompe-l’œil » car elle ne nous fait pas pénétrer directement dans le domicile mais à l’intérieur de la piazza. La vraie porte d’entrée est installée au milieu de celle-ci.» (*2)

« Duncan, tu commences à m’étourdir avec tes vrais et fausses portes. Il semble bien que les bâtisseurs de ces constructions typiques aimaient jouer à « cache-cache… » 

«Et ce n’est pas fini. Cette fameuse porte de piazza donnant sur la rue est appelée « porte d’hospitalité ». Quand tu la laisseras ouverte, cela fera comprendre à tes amis et voisins que tu es à la maison, prête à recevoir des visites et témoigner de notre chère hospitalité sudiste. » 

ooo

Lancé sur un sujet qu’il maîtrisait très bien, il continua : «Faisons le tour de l’extérieur de la propriété. Vous me suivez ? »

« Nous nous trouvons côté nord de la maison. Les employés et fournisseurs pénètrent par cette cour. Le Personnel a accès à la maison par la porte que tu vois ici. Les buggys et les chevaux empruntent également cette allée pour accéder aux écuries. »

« Ici se trouve le puits. Mère, vous serez heureuse d’admirer les roses trémières qui grimpent autour de la pergola en juin et la magnifique glycine qui va envahir, dès le mois d’avril, cette façade nord du manoir. Elle peut s’étaler sans crainte sur toute la surface de maçonnerie car il n’y a que six minuscules fenêtres sur ce côté. »

« Quel contraste avec les belles baies vitrées donnant sur la rue ! » Melina s’étonna de ce pan de maçonnerie sans intérêt.

 

« Il y a une raison à cela. Traditionnellement ces édifices ont été construits proches les unes des autres, les surfaces côté rue étant réduites et rares. En ne permettant que de petites ouvertures, on garantit ainsi à nos voisins, qui eux ont leur piazza au sud, une plus grande intimité, en l’occurrence celle de la famille de votre amie Madame Butler. » 

 

Melina prit un air mutin : « Hum ! S’il y a parmi eux un beau jeune homme, cela me siérait de pouvoir l’épier ainsi… » Et elle éclata de rire.

« Grâce au Ciel, ma fille, et pour ma tranquillité d’esprit, cela n’est pas le cas. Madame Butler a deux fils, tous deux bien trop vieux pour toi. Ross a 42 ans et il est marié. Le fils aîné vient de divorcer et il frôle les 48 ans, si je me souviens bien.»

Melina fit une moue, ostentatoirement déçue. « Dommage ! Ont-ils une fille ? Je pense au petit cœur de mon frère. » Elle décocha à Duncan un air entendu.

 

«Oui, Rosemary, qui est veuve. Elle est née bien plus tard que ses frères. J’espère que vous sympathiserez. Elle doit avoir à peu près l’âge de Duncan. »

« Ah ! Comme c’est intéressant ! N’est-ce pas, Duncan ? »

Le jeune homme de 36 ans coupa court aux élucubrations de sa sœur avec un éclat de rire. « Trêve de plaisanterie. Continuons notre visite. »

ooo

En avançant vers le fond de la propriété, Cathleen s’étonna que la façade arrière du manoir soit « muette ».

« C’est par mesure de sécurité » répondit leur guide du jour. « Les cheminées et les fours se trouvent de ce côté. Les concepteurs de la « single house » ont considéré qu’en maçonnant en mur plein le côté est, il pouvait faire fonction de pare-feu et empêcher l’incendie de se propager trop rapidement.»

« C’est pour cette même raison de prévention d’incendie, qu’à l’arrière du bâtiment sont installés les garde-manger et la cuisine. Celle-ci était bien séparée de l’immeuble par mesure de sécurité, mais l’ancien propriétaire a percé le mur afin que le Personnel puisse pénétrer dans la maison de maître pour effectuer son service. C’est aussi là que se trouve l’office où sont reçus les fournisseurs et où le Personnel se restaure.» 

« Mon grand frère pourrait devenir guide touristique. » se moqua Melina devant ce flot de paroles. Je sens que tu es sur le point de nous faire visiter les caves… »

Duncan ne prêta aucune attention à cette tirade fielleuse.

« Plus loin se trouve le long bâtiment à deux étages consacré au personnel qui désire résider sur place. Il a été restauré par le précédent propriétaire. Néanmoins, je vais inspecter les lieux pour m’assurer des conditions d’hygiène et de confort. »

« Enfin – et je sais que cela t’intéresse, Melina – voici l’écurie et l’emplacement de nos véhicules. Je laisserai notre buggy à Soft South. Nos employés et le contremaître de la plantation peuvent en avoir besoin, et nous l’utiliserons lorsque nous irons nous reposer là-bas. Je vais en acheter un autre dès demain. Mère, vous aurez votre chauffeur personnel, et pourrez ainsi vous déplacer librement en ville. »

Magniolas' Mansion,  les écuries et les logements du personnel, emplacement imaginaire de la maison de Duncan Vayton dans mon roman

Magniolas' Mansion, les écuries et les logements du personnel, emplacement imaginaire de la maison de Duncan Vayton dans mon roman

Cathleen regarda son fils avec affection. Il pensait vraiment à tout pour satisfaire sa famille.

« Duncan, il faut faire venir nos chevaux ! »

«Ne t’inquiètes pas, Melina. J’ai prévu de faire rapatrier ta jument Lady, et mes chevaux Star et Snow. Les autres resteront évidemment dans la plantation, et notre palefrenier en prendra grand soin, comme à son habitude. »

ooo

« Eh bien ! Je suis impressionnée par la surface de cette propriété » commenta Madame Vayton.

« Vous n’avez pas encore vu le principal. Dirigeons-nous sur votre gauche. Admirez cette splendeur : un magnifique jardin ! »

Cathleen s’étonna de l’ampleur de sa superficie. « Comment se fait-il que nous bénéficions de ce grand paradis de verdure en plein quartier de la Battery ? »

Encore une fois, Duncan se félicita d’avoir pu acheter la Magnolias’ Mansion, car sa situation était idyllique, la propriété faisant le coin de la rue de East Street.  « L’ami de Père a eu le « nez fin » lorsqu’il a décidé d’acheter la vieille bâtisse qui se trouvait à cet endroit. Il l’a aussitôt démolie et à faire pousser ces plantes luxuriantes. Avec, bien sûr, tout le long de la piazza, de magnifiques magnolias qui ont donné le nom à notre nouveau foyer. »

Melina et Cathleen commençaient à avoir la tête qui tournait pour assimiler ce débit d’informations.

 

« Enfin, Mère, je vous présente ce qui constituera votre havre de paix : le magnifique porche sur trois niveaux, avec sept colonnes en façades, orienté côté Sud, bien sûr. »

Les piazza de la Magnolias Mansion - en réalité, celles de la Palmer House, 5 Battery, Charleston, Caroline du Sud

Les piazza de la Magnolias Mansion - en réalité, celles de la Palmer House, 5 Battery, Charleston, Caroline du Sud

Les deux femmes Vayton poussèrent un cri d’admiration. « Quel charme ! »

« Je respire déjà mieux, mon cher fils. Il est vrai que j’appréhendais de rester en ville lorsqu’il fait chaud et humide. Cette atmosphère lourde est tellement insupportable ! Mais je sais que ces magnifiques piazzas nous protégeront à l’intérieur des rayons de soleil écrasants. Combien d’amies m’ont dit ? « Notre porche est le meilleur catalyseur des embruns que draine l’océan sur le port de la Battery ».

 

Duncan fut satisfait. Il sentait que sa famille serait heureuse ici.

« Lorsque nous serons à l’intérieur de la maison, j’aimerais que nous faisions le point sur notre Personnel.  Il est évident qu’il faut garder des employés à Soft South pour gérer notre vieille plantation. Vous m’indiquerez les personnes qui sont indispensables auprès de vous. Ensuite, nous sélectionnerons tous les deux parmi les candidatures, dans les trois jours qui suivent, ceux qui seront à notre service à Magnolias’ Mansion. »

Duncan ajouta avec une voix rassurante : « Bien entendu, c’est vous qui déciderez en dernier ressort du choix des domestiques. »

 

« Un dernier point, et nous pourrons affirmer avoir bien entamé notre nouvelle vie de citadins : l’intérieur est vide de tout mobilier. Il faudra que nous sélectionnions tous les trois ce que nous voulons rapatrier ici. Les habits évidemment, les bibelots, tableaux et tapis que vous choisirez, et les sièges ou petits meubles que vous aimez particulièrement. Je vous rassure tout de suite : il n’est pas question de déposséder Soft South de sa décoration. Dès demain, j’effectuerai une rapide visite à New York. J’ai déjà pris contact avec le plus gros marchand d’art importateur d’antiquités françaises. Je suis certain que vous tomberez sous le charme du mobilier Empire que je vais acheter. »

 

« Oh ! Tu es pire qu’un ouragan, mon fils ! Quelle efficacité ! J’ai du mal à réaliser que nous allons habiter dans ce paradis. D’autant plus que c’est un merveilleux hasard que notre nouvelle maison soit située juste à côté de celle de ma chère amie Eleonor Butler» s’exclama Cathleen Vayton.  «Depuis que son mari est décédé, nous nous voyons souvent chez elle pour prendre le thé. D’ailleurs, elle nous avait invités il y a deux mois pour célébrer le retour à Charleston de son fils aîné. Votre père se sentant souffrant ce jour-là, nous avions dû y renoncer.»

Son fils lui répondit d’un air distrait. « Ce n’est que partie remise. Dès que nous serons installés à Magnolias’ Mansion, pourquoi ne pas lancer une invitation à nos voisins pour marquer ce changement ? Je sais que nous sommes en période de deuil, mais nous nous rassemblerons en un groupe restreint.»

« Puisqu’il ne s’agira pas de festivités ou de bal, je crois en effet que cette idée de petite réunion est tout à fait convenable. Bien ! Si nous admirions maintenant l’intérieur de la propriété ? »

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La maison de Rhett Butler, à côté de celle de  Duncan Vayton, la Magnolias Mansion - En réalité, la Robert William Roper House, 9 East Battery, et la Palmer House (ou appelée aussi the John Ravenel House) 5 East Battery, Charleston - photographe Morton Brailsford Paine 1932 (source Charleston Museum)

La maison de Rhett Butler, à côté de celle de Duncan Vayton, la Magnolias Mansion - En réalité, la Robert William Roper House, 9 East Battery, et la Palmer House (ou appelée aussi the John Ravenel House) 5 East Battery, Charleston - photographe Morton Brailsford Paine 1932 (source Charleston Museum)

Charleston, 25 janvier 1875, chez les Butler

 

« Mère, regardez ! Il y a du nouveau en face à la Magnolias’ Mansion. Depuis ce matin, je vois arriver des chariots de déménagement. Il semble bien que la maison des Hopkins ait été vendue ». Nous allons avoir de nouveaux voisins ! »

Rosemary se tenait à la fenêtre et scrutait les caisses et le mobilier emballés que des manutentionnaires portaient à l’intérieur de la bâtisse.

Madame Butler ne bougea pas de son fauteuil. « Ma fille, il n’est pas séant d’espionner nos voisins. Je suis heureuse que cette magnifique maison de maître reprenne vie. Gageons que la famille qui va l’occuper sera de bonne compagnie.» 

Un autre véhicule se plaça devant l’entrée. Il fallut le renfort de six hommes pour transporter avec la plus grande précaution ce qui avait la forme d’un piano soigneusement enveloppé dans des couvertures.

« Manifestement, ce sont des mélomanes. J’espère que ce piano est annonciateur de fêtes ! » Rosemary s’en réjouissait déjà.

« Ma chérie, tu n’en as pas été privée ces derniers temps. Depuis que Rhett habite ici, nous avons organisé trois réceptions afin qu’il renoue avec notre bonne société de Charleston. D’ailleurs, j’ai bien noté que tu joins à chaque fois des cartons d’invitation destinés à tes jeunes amies. Aurais-tu une arrière-pensée, ma fille ? » Eleonor adressa un sourire en coin à la jeune femme.

La sœur de Rhett éclata de rire. Malgré ses 36 ans et un veuvage qui l’avait fait retourner vivre avec sa mère, il lui arrivait encore d’avoir des intonations infantiles.

« Vous avez remarqué, Mère ? C’est vrai, j’ai grand plaisir à « mettre mon grain de sel » dans les affaires de cœur de mon cher frère. Il est grand temps qu’il tourne la page de cette scandaleuse Scarlett, et qu’il rencontre enfin une jeune fille du Sud digne de lui. D’ailleurs… » Rosemary s’interrompit.

Madame Butler scruta sa fille avec curiosité.

«D’ailleurs quoi ?  Me cacherais-tu un secret ? Moi aussi je voudrais que mon fils trouve enfin le bonheur. Il avait affirmé haut et fort que son divorce le libérerait et lui redonnerait la joie de vivre. Oh ! Bien sûr, il essaye de donner le change devant nos amis, mais je vois bien qu’il est malheureux. Dès qu’il se croit seul, son masque souriant tombe. Il passe des heures dans la bibliothèque, le regard dans le vide, à fumer cigare après cigare. Tu sais, je m’inquiète pour lui.»

«Je suis plus optimiste que vous, ma chère Mère. Lors de notre dernière réception, n’avez-vous pas remarqué que mon amie Roselyne ne le quittait pas du regard ? Je les ai vus discuter tous les deux. Et Rhett lui a décoché un sourire ravageur. »

Madame Butler prit un air rêveur. « Ah ! Si seulement… Roselyne Tucker appartient à une excellente famille. Je crains que le statut de divorcé freine encore un peu le bon accueil de Rhett parmi les nôtres. Heureusement, il a pris l’initiative d’actions très généreuses envers l’Association des Orphelins de Guerre. Mon amie Sophia Carlson m’en a félicitée au nom de ses membres. Et puis, il est vrai que mon fils a toujours réussi à avoir ce qu’il voulait. Alors, s’il se décidait à demander la main de la charmante Roselyne, je n’ai aucun doute qu’il arriverait à charmer ses parents. Espérons…»

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Charleston, 30 janvier 1875, Magnolias’ House, chez les Vayton

 

C’était le grand jour pour les Vayton. Ils étaient enfin installés dans leur nouveau foyer. Les déménageurs avaient fini de mettre en place les objets et petits meubles provenant de leur plantation de Soft South et les antiquités précieuses expédiées de New York.

Cathleen Vayton inspecta le travail accompli par les nouveaux serviteurs que Duncan venait d’embaucher.

Bien sûr, la cuisinière Netty les avait suivis de Soft South, comme la camériste Susan, dévouée à Madame Vayton, le majordome Barnabee, sans oublier Ophelia, la mammy de Duncan et Melina, membre effective de la famille. Certains employés restant à demeure dans la plantation pour son entretien, il avait fallu embaucher deux nouvelles femmes de ménage, Dee et Bridget, la blanchisseuse Dorothy, le palefrenier et chauffeur James et le jardinier Joshua.

Une brigade de serviteurs digne de la prestigieuse Magnolias’ Mansion !

 

Dee finissait de lustrer le parquet en chêne. Ce n’était pas bien difficile car les lattes polies témoignaient de plus de vingt-cinq ans d’entretien méthodique. Elle allait en faire de même ensuite pour les balustres et la main courante de l’escalier en acajou blond.

L'escalier de la Magnolias Mansion - En réalité celui de la Palmer House, 5 East Battery, Charleston

L'escalier de la Magnolias Mansion - En réalité celui de la Palmer House, 5 East Battery, Charleston

Quel choc lorsqu’on poussait la porte venant de la piazza ! Les yeux étaient immédiatement rivés sur le sinueux escalier en colimaçon au fond de la pièce face à l’entrée.

Les fondateurs de Magnolias’ Mansion avaient fait les choses en grand ! Ils avaient importé d’Angleterre les boiseries murales panneautées en acajou tapissant le mur d’échiffre de l’escalier et ceux de la bibliothèque. A chaque étage, certaines marches et contremarches étant plus longues, l’aspect de tourbillon en devenait des plus majestueux. En se plaçant au bas de la rampe, on pouvait apercevoir les dernières marches du troisième étage illuminées par un hublot fixé sur le toit qui faisait scintiller le grain du bois exotique tout au long de la journée.

 

Cathleen se dirigea à droite, tout au fond, en direction de la cuisine. Une longue table de ferme en noyer se dressait au milieu de la pièce entourée de chaises rustiques. Le sol était carrelé, comme la buanderie et les salles d’eau. Bridget frottait l’antique et large évier en grès rose des Vosges françaises dont les arêtes avaient été polies il y avait plus de cent ans. Il avait été extrait d’un gisement millénaire.

Des marmites et casseroles en cuivre rutilant étaient suspendues sur des étagères.

Le dernier cadeau de Duncan prônait fièrement contre le mur du fond, relié à un tuyau de cheminée. Il s’agissait d’une cuisinière en fonte, du tout dernier modèle, estampée « Chas. Noble & Co., Philada». Elle provenait tout droit de la manufacture de poêles de Philadelphie, Liberty Stove Works.(*3) La soupe du jour mijotait dans le lourd chaudron en cuivre posé sur le plateau à trois feux.

Le nouveau modèle de cuisinière, fabriquée en 1876, Liberty Stove Works Philadelphia Iron King Cook improved

Le nouveau modèle de cuisinière, fabriquée en 1876, Liberty Stove Works Philadelphia Iron King Cook improved

Melina avait rejoint sa mère pour faire à nouveau le tour du propriétaire. «Je ne me lasserai jamais d’admirer les décors des carreaux de carrelage en faïence qui recouvrent la moitié d’un pan de la cuisine. Tu as vu ? Il y a les mêmes dans le cabinet de rafraîchissement du rez-de-chaussée, et la salle de bains et les deux cabinets de toilette au second étage.»

« Chaque carrelage en terre émaillée est une œuvre d’art, je suis d’accord avec toi, Melina. Avec notre cercle de lecture, nous avions étudié la porcelaine et la faïence européenne du XVIIe siècle jusqu’à aujourd’hui, dont cette faïencerie de Delft en Hollande. Je suis émerveillée par la finesse des illustrations décorées en camaïeu bleu. Regarde la précision de trait dessinant plusieurs styles d’embarcations flottant sur les flots. Pour une maison située sur la Battery, ceci est bien adapté ! »

Carrelage murale en faïence, fabriqué par la manufacture de Delft, Hollande, fin XVIIIe siècle.

Carrelage murale en faïence, fabriqué par la manufacture de Delft, Hollande, fin XVIIIe siècle.

« Oui, vraiment, tout me plaît dans notre nouveau « chez nous ». Cathleen retrouvait lentement le sourire. Le décès de son mari avait été si brutal ! Mais ses deux enfants l’entouraient d’amour. Et maintenant, le fait de prendre un nouveau départ en habitant ce lieu idyllique lui redonnait confiance en l’avenir.

Les deux femmes retournèrent vers le hall du rez-de-chaussée. Après avoir admiré une nouvelle fois les quatre arches surmontées d’une vitre en éventail séparant le hall de l’office, le salon et la salle à manger, Madame Butler annonça la nouvelle du jour.

 

«Je viens de recevoir un carton d’invitation d’Eleonor Butler. Dès notre arrivée, je lui avais fait porter un pli pour lui faire savoir que nous serions voisins dorénavant. Je vais de ce pas prendre le thé chez elle. Cela préfigurera la petite réception intime que nous avons prévue. A tout à l’heure ! »

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Charleston, 30 janvier 1875, chez les Butler

 

Quelques pas, et Cathleen était déjà arrivée chez Eleonor. Les deux amies s’enlacèrent chaleureusement, puis allèrent s’asseoir dans le salon.

Madame Butler renouvela ses condoléances à la veuve Vayton. « Je partage votre peine. J’espère que cet emménagement va permettre de vous distraire un peu. »

 Eleonor continua : « Quel plaisir de vous savoir si proche, dorénavant, ma chère Amie ! Je n’en croyais pas mes yeux lorsque j’ai reçu votre pli. Votre fils a acheté la perle rare. Magnolias’ Mansion avait été mise en vente il y a trois mois. Elle était très convoitée. Plusieurs de mes connaissances auraient adoré acheter une des plus belles demeures de Charleston. Malheureusement, les exigences financières de M. Hopkins les en ont rebutées. Je suis surprise de la rapidité d’action de votre fils pour se saisir de cette opportunité. Il est rentré d’Europe le 2 janvier, n’est-ce pas ? »

 

« Oui, aussitôt l’annonce de la triste nouvelle et le temps de la traversée. Il m’a dit s’être mis à la recherche d’une résidence dès la première semaine. Un coup de chance, peut-être, l’habilité de mon fils certainement, et voilà qu’il a convaincu l’ancien propriétaire de vendre ce joyau familial. Duncan nous a aussitôt proposé à ma fille et moi-même de venir habiter avec lui.»

« Quel bon fils vous avez là ! Il a donc décidé de ne pas repartir en France ? Sa présence à vos côtés vous sera douce, j’en suis persuadée. Quel âge a-t-il maintenant ? »

Cathleen précisa fièrement : « Il a trente-six ans. Je vous avoue qu’il m’arrive de le considérer encore comme mon garçon. Il est tellement cajoleur et joyeux ! »

 

Eleonor Butler ne put dissimiler sa mélancolie : « Malheureusement, je ne peux en dire de même de mon fils aîné, Rhett. J’avoue que j’ai toujours eu une faiblesse pour lui. Il a été un garçon tellement brillant et charmeur. Mais, Cathleen, je dois vous avouer que je ne le reconnais plus, que je ne le comprends plus. »

Madame Vayton se porta au secours de sa voisine : « Oh ! Pourquoi dites-vous cela, ma chère Amie ?»

Eleonor connaissait depuis longtemps Cathleen. Bien que plus jeune d’une dizaine d’années, celle-ci était une amie fidèle à laquelle il était aisé de se confier. Et en ce moment, la mère de Rhett en avait gros sur le cœur.

« Vous savez, mon fils ne s’est toujours pas remis de la mort de sa fille adorée, sa petite Bonnie, à l’âge de quatre ans et demi. Ce fut un terrible accident, un choc qui l’a laminé. Il l’aimait tellement ! Combien de fois m’a-t-il avoué que, lorsqu’elle est partie, Bonnie a tout emporté avec elle !»

Cathleen prit gentiment la main de son amie : « Je m’en souviens très bien. Quel drame cela a été pour vous également ! Votre seule petite fille… Il y a combien de temps de cela, quatre ans à peu près ? »

« Oui. S’est ajouté à cette plaie vivante le divorce de mon fils. Je vous avais parlé en son temps de la séparation brutale d‘avec son épouse il y a trois ans. Il est vrai qu’ils ne s’entendaient plus depuis longtemps. A tel point qu’il ne me l’avait jamais présentée, vous rendez-vous compte ? Je ne l’ai rencontrée qu’à l’enterrement de Bonnie. Enfin, je pensais vraiment que tout irait mieux après cette rupture parce qu’’il me l’avait affirmé à cor et à cri. Et pourtant…. » Eleonor s’arrêta, attristée par ce constat.

Cathleen lui tapota gentiment la main : « Ne vous découragez pas. Que se passe-t-il ? »

Les yeux d’Eleonor s’embuèrent : « Mon fils est malheureux, et je ne vois pas comment l’aider. Cela fait des années qu’il a des sautes d’humeur passant par des phases optimistes à des séquences d’introspection. Je dois vous avouer, Cathleen, que son mariage n’a jamais été heureux – à l’exception de son rayon de soleil, Bonnie, bien sûr ! »

« En connaissez-vous la raison ? » Madame Vayton « marchait sur des œufs ». Elle ne voulait pas paraître indiscrète. Lors de leur réunion au Cercle, elle avait été témoin de conversations entre les deux vieilles sœurs Robillard s’indignant du comportement scandaleux de leur nièce Scarlett. 

Eleonor lui répondit évasivement. « C’est une histoire compliquée, et je dois malheureusement avouer que l’échec de ce mariage leur impartit à tous deux. Quoiqu’il en soit maintenant, il faudrait que Rhett refasse sa vie, et pourquoi pas un nouvel enfant que je pourrais gâter. »

« Alors, nous avons une mission commune, chère Voisine. Moi aussi je rêve qu’enfin Duncan me présente la femme de sa vie ! Et si nous partions toutes les deux à la recherche de cette perle rare ? »

 «J’aimerais vous inviter avec vos enfants dans notre nouvelle maison, mercredi prochain. En raison de notre deuil, ce ne sera pas un dîner formel, bien entendu. Mais ne serait-ce pas une magnifique occasion pour que nos deux fils échangent leur point de vue sur la femme de leur rêve ? »

Les deux amies éclatèrent de rire.

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Auteur : Arlette Dambron. 

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Images de l'intérieur de la maison de Rhett Butler, à côté de la Magnolias Mansion, celle de Duncan Vayton.

Visitez l'intérieur de cette maison historique, la-Robert William Roper house, située au 9 East Battery, Charleston, Caroline du Sud. Comme dans le roman the Boutique Robillard, elle est construite à côté du  n°5 East Battery, the Palmer House, la maison de Duncan.

 

 

Visitez en vidéo les deux maisons de la Battery, occupées par Rhett Butler et Duncan Vayton : La Palmer House et la Roper House

Video of the Battery in Charleston, South Carolina, the Palmer House and the Roper House

 

Notes de fin de chapitre 6 :

(*1) antebellum : avant 1861, le début de la guerre de Sécession

Charlestonian « single houses » : toutes les précisions sur les caractéristiques de la « single house » sont conformes aux informations données sur différents sites spécialisés.

(*2) La maison de Duncan, Magnolias’ Mansion, est inspirée de la célèbre « Palmer Home » sur la Battery à Charleston. J’ai toutefois fait quelques modifications (J’ai « réinstallé » la porte ouvrant sur la piazza, et rétabli le porche du rez-de-chaussée.)

(*3) cuisinière Liberty Stove Works : stovehistory blogspot .

Photographies anciennes de  Charleston, et particulièrement de la Battery :

 

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Commentaires des lecteurs de fanfiction.net et de archiveonourown.org sur le chapitre 6

Commentaire Ali… chapitre 6 . 31 mars - C'est hilarant, ils ont tous les deux le même rêve de femme. Je sens que le supplice de Rhett vient de commencer.

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 Commentaire Moo… chapitre 6 . 30 mars - Je ne sais pas si j'aime que les familles soient si proches. Cela peut causer un conflit. Duncan semble si parfait pour Scarlett. Ce dont elle a le plus besoin. Et très proche en apparence de Charles Hamilton. Je ne veux juste pas avoir de faux espoirs.

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Commentaire Aet… chapitre 6 . 30 mars - J'aime beaucoup les anecdotes historiques que vous avez intégrées à votre histoire. Il semble tellement étranger que les gens tiennent compte des besoins de leurs voisins lorsqu'ils construisent une maison. Limiter le nombre de fenêtres alors que le zonage ne l'exigeait pas semble tellement mieux que ce que nous faisons maintenant. Une partie du code de conduite du Sud est dénigrée, mais il y avait aussi du bon. Il y a un vieux western appelé McKenna's gold, et il y a une réplique, "le code de l'Ouest est de faire aux autres avant qu'ils ne vous le fassent". C'est plus ce que nous avons maintenant. J'ai hâte de voir comment vous dépeignez la mère de Rhett. Il est resté avec elle pendant trois mois avec Bonnie, pour qu'elle puisse voir quel horrible père il était. J'ai toujours pensé que si elle était une mère si formidable, elle aurait dû le prendre à partie pour avoir élevé une telle enfant gâtée et pour avoir traité sa femme avec un tel manque de respect.

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Commentaire sch… chapitre 6 . Mar 29 - Je viens de découvrir cette fiction et je dois dire que je l'adore. Le principe de cette histoire est vraiment très intriguant. J'attends avec impatience votre prochaine mise à jour.

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Commentaire tai… chapitre 6 . 29 mars - Oh, je suis si impatient de les rencontrer ! ️️️️

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Commentaire Guest Chapitre 6  . 29 mars - Intéressant ! J'ai hâte de voir ce qui se passe dans la tête de Rhett !

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Commentaire sul… (Archive on our Own) sur Chapitre 6 Wed 31 Mar 2021- C'est vraiment une leçon sur l'histoire de la construction en briques de Charleston, et vous avez fait beaucoup de recherches, mais c'est peut-être un peu trop pour un seul chapitre. Ne vous vexez pas, j'aime beaucoup votre idée, et j'apprécie d'acquérir des connaissances supplémentaires simplement en lisant et en passant un bon moment, mais le flux de l'histoire souffre en quelque sorte de l'assaut de toutes ces *briques* d'informations...

Fil de réponse BlancheScarlett sur le chapitre 6 Med 31 Mar 2021 08:11PM WIB

Bonjour, Sans vouloir vous offenser ! Ces critiques sont là pour montrer vos sentiments, et c'est très important pour moi. Je comprends vos commentaires sur les sujets de longue haleine. Laissez-moi vous expliquer que j'ai eu beaucoup de plaisir à construire ce nouveau personnage de Duncan Vayton. Donc, pour que je puisse "croire" en lui - pour être capable de "ressentir" comme lui et de décrire ses sentiments, j'ai besoin de tout savoir de sa vie : c'est mon côté passionné :-) Puisque je le décris comme un homme riche, je dois expliquer comment il gagne son argent (les usines de laine du prochain chapitre), où il vit et pourquoi il a choisi cette maison typique. J'aime étudier tout en détail (ma formation de juriste évidemment). Donc j'écris probablement trop d'informations. Bon, peut-être qu'il faut juste garder les lignes de description :-) Et s'il vous plaît continuez à donner votre point de vue honnête.

Redécouvrez le chapitre 1 de La Boutique Robillard, Le Divorce

Rhett Butler oblige Scarlett O'Hara à divorcer
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