Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Read on line, follow the updates of my historic novel The Boutique Robillard, fandom of Gone with the Wind (in English, click on top)

 

 

 

Lisez en ligne mon roman historique, dans l'Amérique de 1876 : La Boutique Robillard, ma suite d'Autant en Emporte le Vent (en français)

Publié par Arlette Dambron

Thomas Holden et ses marionnettes à fil

Thomas Holden et ses marionnettes à fil

Dimanche, 7 juin 1876, Peachtree Street

 


Des coups de marteau. A sept heures du matin ? Scarlett se réveilla en sursaut. 


« Bien sûr, c’est Pork qui est en train de fixer les poteaux pour accrocher les décorations de la fête que Wade a fabriqué pour sa sœur. Il faut que tout soit terminé lorsqu’Ella se réveillera. » 


Elle s’amusa de l’implication de son fils dans l’organisation de cet événement. Passant cinq jours par semaine dans son école privée, il avait pour habitude, d’ordinaire, de profiter du week-end pour voir ses amis d’enfance. 


Mais il avait généreusement consacré sa journée du samedi à concevoir des ornements en cartons aux formes sophistiquées, pour les couvrir ensuite de peinture aux couleurs de l’arc-en-ciel. En rappel des motifs ornant sa tenue de princesse, il avait notamment élaboré des étoiles en trois dimensions, imbriquées l’une dans l’autre pour leur donner encore plus de perspective. Il avait même poussé la sophistication en variant le nombre de branches. Certaines étaient destinées à être suspendues, d’autres, plus petites, à garnir la table du buffet. Il en avait conçu deux de 70 cm d’envergure pour qu’elles soient placées à l’entrée du jardin. 


Une grande banderole en drap blanc était suspendue entre les deux pilonnes. Wade avait collé des bandelettes de carton noir, afin qu’on puisse lire en grand : « Joyeux Anniversaire, Ella, « Princesse d’Atlanta » ».


En ce matin du 7 juin, Pork, assisté de Prissy, avait grand plaisir à accrocher ces symboles festifs. « Cela fait si longtemps qu’on n’a pas fait une vraie fête ici, depuis la mort de la petite fille de Ma’ame Scarlett ! »


Scarlett s’étira paresseusement dans le lit. Le dimanche était le seul jour où elle pouvait se permettre ce luxe. « Autant en profiter, car l’après-midi va être épuisante. » 


 Trente enfants avaient accepté avec joie d’être présent. Heureusement que le temps s’annonçait ensoleillé. Sinon, il aurait fallu que tout ce petit monde se réfugiât dans l’ancienne salle de bal. 


Certaines des connaissances d’Ella, en dehors de ses camarades de classe, avaient insisté lourdement auprès de celle-ci, vendredi dernier, pour être invitées au dernier moment. « Décidément, la parution de l’article sur le défilé de mode de Charleston a eu un effet retentissant ! Tout le monde veut rencontrer la « Princesse d’Atlanta » ! "


"Et dire qu’il y a deux ans, à part Beau et deux fidèles camarades, Ella s’était retrouvée tristement seule devant son gâteau. » Les efforts de Scarlett pour redresser sa réputation avait porté ses fruits l’année dernière. A ce moment-là, sa fille avait à nouveau été gratifiée de la présence de ses meilleures amies parmi la Vieille Garde. Mais cette année dépassait toutes ses espérances. « En un tour de passe-passe, Duncan a transformé Ella en enfant la plus populaire d’Atlanta ! »


« Et, grâce à lui, mon chiffre d’affaire a explosé samedi ! » Dès vendredi, elle avait noté une fréquentation inhabituelle dans l’après-midi, amplifiée le lendemain. Des dames, qu’elles n’avaient jamais rencontrées, la saluaient avec empressement, pour ensuite être prises en charge par les vendeuses qui réussissaient à chaque fois à finaliser une vente. Si elle les vit chuchoter derrière son dos, cela n’était plus, comme pendant des années, un signe de médisance à son égard. Au contraire,  les dames d’Atlanta et des countys environnants s’étaient mises à envier la « Foudre de Georgie », devenue la muse du plus célèbre personnage de la mode américaine. Scarlett se délecta de leur réaction.  « Duncan est un magicien ! » conclut-elle en élongeant ses bras dans son lit de satisfaction.


Ce qui fit bifurquer ses pensées sur la fin de l’après-midi qui s’annonçait… difficile. Ashley et Rhett, à nouveau confrontés l’un à l’autre. « Non ! La situation n’était pas comparable avec le passé ! » Scarlett analysa lucidement ce qui avait changé : Ashley était libre maintenant – « Ma gentille Melly, comme tu me manques… » - libre de lui témoigner son… affection, ce qu’il ne manquait plus d’exprimer au grand jour.

Quant à Rhett, son «affection » à lui était désormais tournée vers d’autres cieux, vers une fille plus jeune, donc plus appétissante à ses yeux. 


A cette pensée, les rayons du soleil pénétrant dans sa chambre semblèrent plus faibles. Une ombre menaçait de gâcher cette journée prometteuse. Il était temps de se lever pour souhaiter l’anniversaire à sa fille, et préparer la réception destinée aux adultes.

 

******

 


Ella trépignait d’impatience. La matinée avait été parfaite. Elle avait été gâtée : une nouvelle dînette en porcelaine par sa mère, un jeu de dominos par Wade. Dans une petite boîte en hêtre toute simple, chacun des vingt-huit jetons était décoré d’un socle en palissandre. Le damier, doublement numéroté d’un cercle noir, étant en os imitant l’ivoire, comme les dés. En le lui offrant, son frère lui avait promis qu’il serait son premier partenaire de jeu, ce qui était, en soi, un signe précieux de gentillesse fraternelle. 


Dilcey, Prissy et Pork l’avaient embrassée. La cuisinière avait décoré son assiette du petit-déjeuner avec des fruits taillés en forme de fleurs. Prissy avait consacré à la coiffure d’Ella autant de temps que celui qui était dévoué à sa mère. Le résultat était époustouflant, un composé de boucles et de tresses entremêlées de rubans. La petite fille avait été touchée par tant d’attentions. 


Mais une chose l’avait embêtée : on lui avait interdit de sortir dans le jardin. Elle ne put même pas voir à travers les rideaux du salon, car ceux-ci avaient été délibérément tirés pour prévenir toute indiscrétion. 


Elle avait dû attendre que le repas du déjeuner soit fini pour revêtir sa tenue, la fameuse robe de « Princesse d’Atlanta ». 


Les aiguilles de la pendule du couloir semblaient s’être arrêtées depuis ce matin, « expressément pour me faire languir », pensa Ella. Elle vérifia une nouvelle fois. Encore quelques minutes, et il serait enfin quinze heures !


Scarlett jeta un dernier coup d’œil aux préparatifs. Dans le jardin, tout était prêt. Une table avec tréteaux supportait le buffet dégorgeant de bocaux de bonbons multicolores. Deux longues tables de ferme et des bancs, loués pour l’occasion, n’attendaient plus que leurs jeunes occupants.


La pâtisserie Merriweather avait été enchantée d’une si importante commande, et son livreur venait juste d’apporter son lot de douceurs, dont une pléthore de tartes aux fruits et sablés au chocolat.  On ne servirait ces gâteries fraîches qu’au dernier moment, quand les enfants seraient arrivés, comme les litres de limonade, conservés au froid. 


Quant à la délicate mousse au chocolat préparée par Dilcey, et les bocaux de crème glacée à la fraise, Scarlett ne se faisait aucune illusion : il n’y en aurait jamais assez pour tant d’estomacs gourmands.


Dilcey, Pork et Prissy allaient se relier pour être aux petits soins des invités, petits et grands. Prissy était également chargée de vérifier à ce qu’il n’y ait pas trop de débordements. 


Wade et Beau seraient les préposés à l’organisation des jeux.


Quant aux cinq invités personnels de Scarlett, ils dîneraient plus tard dans la salle à manger. Ils n’arriveraient que dans deux heures pour partager le gâteau d’anniversaire.  


Un livreur se signala à Pork. Scarlett regarda par la fenêtre. Elle le vit décharger d’une charrette ce qui pouvait ressembler à une grande planche emballée dans un drap, puis une sorte d’estrade. « Le cadeau surprise de Rhett ! » Une pointe de tristesse la traversa. La peine qu’il se donnait aujourd’hui pour faire plaisir à sa belle-fille, comme elle aurait aimé qu’il puisse en faire de même pour leur fille… Il fallait qu’elle chasse ce regret, au moins pour la fête.


Enfin ce fut le grand moment pour Ella : ses invités arrivaient. Il était quinze heures. Scarlett sortit les accueillir et saluer les parents qui venaient déposer leurs enfants. Sa fille poussa des grands cris d’émerveillement en découvrant le jardin parsemé d’étoiles. Il y en avait partout : sur l’herbe, sur les tables, et même accrochées sur un fil, au-dessus de leurs têtes. Wade eut droit à des remerciements enthousiastes et mouillés sur sa joue. Gêné par ces effusions publiques, son frère préféra la laisser avec ses amis et partit à la rencontre de Beau.


Ella se retrouva vite au centre d’un cercle d’admirateurs, filles et garçons, qui prenait de plus en plus d’ampleur, tel un nid d’abeilles se concentrant autour du miel. Tous voulaient en savoir plus sur la réception de rêve à laquelle leur amie avait assistée.  


Les petites filles insistèrent pour toucher la robe magique dont on parlait dans le journal, portée par celle qui avait eu les honneurs des gens célèbres de Charleston. Elles insistèrent pour inspecter la poupée « jumelle », sous l’œil attentif d’Ella qui craignait qu’on puisse la faire tomber. 


Les garçons préférèrent savoir si Ella avait vraiment rencontré le Général Wade Hampton.


Un adolescent était plus réservé. C’était Beau. Scarlett vint le serrer dans ses bras et il accepta avec plaisir ses gestes d’affection. Il avait tellement l’habitude d’avoir l’exclusivité de la compagnie d’Ella avec Wade, tous les dimanches, que cette agitation autour de sa cousine le perturbait un peu. Mais son cousin vint à son secours, et ils laissèrent les « petits » à leurs enfantillages, pour planifier les activités dédiées aux invités d’Ella.


Scarlett s’amusa à observer sa fille, les joues rouges d’excitation, ouvrant des cadeaux, s’ébaudissant devant chaque surprise, embrassant avec gaieté ses camarades.


Puis Prissy et Pork passèrent en action, amenant avec eux tant de friandises convoitées que le buffet risqua d’être très vite dévalisé. 


Puis vint le moment de jouer en société. Un jeu de croquet avait été installé sur la partie en terre battue du terrain. Les arceaux avaient été solidement plantés la veille par Pork. Wade distribua boules en bois et maillets et constitua deux équipes. Six autres enfants étrennèrent la boîte de dominos. D’autres profitaient de l’occasion pour bavarder avec ferveur, oubliant qu’ils s’étaient vus la veille à l’école. 


Le jardin raisonnait de rires, de cris joyeux d’enfants gesticulant dans tous les sens, tournoyant autour des étoiles avec ravissement. 


Scarlett était rassurée. La fête était d’ores et déjà une réussite. « Un moment de bonheur que la maison n’a pas connu depuis longtemps »


Presque 17 heures. Ses invités allaient arriver. Elle vérifia une dernière fois sa tenue dans le miroir. Sa chevelure, enfermée dans un chignon sophistiqué, était rehaussée de deux peignes en argent, incrustés de minuscules perles. Elle avait opté pour une robe légère en crêpe de soie, dont la finesse du tissu galbait délicatement son corsage. 


Cette coupe lui seyait à merveille, cerclant sa taille fille tout en ne cachant rien des courbes de ses hanches. Quant à l’échancrure de son bustier… Scarlett eut du mal à ravaler un gloussement de plaisir à la réaction que celui-ci allait sûrement susciter auprès d’un homme tout à l’heure. Quant au deuxième, elle doutait fort que cela l’impressionnât. 

 

*****

 

 

Son cœur battait d’excitation. Enfin elle allait percer le mystère enveloppant sa nouvelle amie comme un halo. Contrairement à ce qu’elle lui avait affirmé, ce n’était pas seulement pour la chance d’admirer le chef d’œuvre du grand couturier que Taisy s’était réjouie d’être invitée avec son mari à la maison de Scarlett O’Hara.


De prime abord, la jeune femme de Louisiane avait été attirée par « The Boutique Robillard » en raison de sa fascination pour le talentueux couturier Duncan Vayton. C’était, pour elle, une incroyable opportunité de voir et de toucher une collection qui lui avait paru hors de portée à New York. En fréquentant le nouveau magasin, très vite elle était tombée sous le charme de la personnalité de la dynamique commerçante. Celle-ci représentait le sang neuf et l’énergie, contrastant tellement avec la morosité uniforme des autres dames de bonne famille d’Atlanta ! 


Le couple Benett avait eu des difficultés à s’adapter à l’atmosphère georgienne. La vie trépidante de leurs amis de La Nouvelle Orléans leur manquait. Harry s’était jeté dans le travail. Son nouveau poste prestigieux à la Mairie le passionnait. Mais Taisy… elle s’ennuyait terriblement. C’est pourquoi Scarlett O’Hara devint sa source dérivative privilégiée. Certaines rumeurs étaient remontées jusqu’à elle. La belle commerçante traînait dans son sillage un parfum de souffre. 


Quand le majordome leur ouvrit la porte, Taisy et Harry furent saisis par l’apparat architectural de la maison. « Un peu trop ostentatoire, pour mon goût » jugea Harry. Mais Taisy, attirée par tout ce qui brillait, en décida autrement.


En embrassant amicalement la jeune femme, elle s’exclama, devant le gigantisme de la demeure : « Le style est unique. Vous devez avoir l’impression de vivre dans un château ! »


Son amie apprécia le compliment : « Je l’avais rêvée ainsi quand mon ancien mari l’a construite, au grand dam de celui-ci ! Mais… » - Sa voix se fit plus hésitante – « Elle paraît un peu vide maintenant.»


Taisy et Harry échangèrent un regard étonné. 


« Scarlett, cette robe vous va à ravir ! » 


Son interlocutrice la remercia : « La vôtre ferait des envieuses dans mon magasin ! » 


Harry se fendit d’une révérence élégante envers la jeune femme.


Taisy remarqua le regard appuyé de son mari vers le corsage généreux de leur hôtesse. Cela ne l’étonnait pas du tout qu’elle soit à son goût. « Quel homme ne serait-il pas attiré par une telle séductrice, d’ailleurs ? » Elle n’en prit pas ombrage. 


Elle observa Scarlett saluer un vieux monsieur, accompagné d’un grand homme élancé. « Le gentleman sudiste dans toute sa splendeur ! » pensa Taisy.


Si le vieil homme avait regardé le couple lui faisant face avec un air affable, son compagnon avait gardé les yeux rivés sur leur hôtesse. « Comme s’il était hypnotisé par elle ! » Taisy se fit cette réflexion, tellement son trouble était visible.


Il l’embrassa légèrement sur la joue. Un frôlement, tout au plus, beaucoup plus révélateur qu’un baiser franc l’aurait été.  


« Intéressant échange» pensa Taisy. 


Scarlett se retourna vers elle : « Taisy, Harry, je vous présente ma famille. Voici Henry Hamilton, le plus célèbre notaire d’Atlanta. C’est le grand-oncle de Wade. Et voici Ashley Wilkes, mon beau-frère. C’était le mari de ma chère Mélanie, la nièce d’Henry.» 


« Oncle Henry, Ashley, voici Taisy et Harry Benett. Ils viennent de s’installer dans notre ville. Je sais que vous leur ferez bon accueil. »  


L’oncle les salua avec l’aisance de l’homme sociable habitué à jauger immédiatement la qualité de ses interlocuteurs. 


Son mari se présenta : «J’ai entendu de nombreuses éloges sur vous, Monsieur Hamilton. Peut-être aurons-nous des affaires à traiter ensemble. C’est un grand honneur pour moi que le Maire d’Atlanta m’ait confié la direction des Arts et de la Culture de la capitale georgienne. » 


Immédiatement, Harry fut happé par le vieil homme de loi, et ils engagèrent une discussion enflammée sur les investissements culturels envisagés par les autorités locales. 


Taisy voulut en savoir plus sur le beau-frère de Scarlett. Elle avait du mal à comprendre la corrélation entre le statut familial de l’homme et son regard appuyé sur le décolleté de sa belle-sœur dès son entrée dans la maison.  


Scarlett avait fait mine de ne rien avoir remarqué. Mais Taisy avait d’instinct compris que cette jeune femme avait l’habitude d’attirer les hommes autour d’elle. « Elle doit parfaitement savoir comment les faire tourner autour de son petit doigt. Et celui-ci particulièrement » ironisa la Néo-Orléanaise.  


Il commença à s’adresser à la jeune femme : « J’ai lu avec surprise la gazette d’Atlanta de vendredi… » et il s’arrêta subitement, fixant un nouveau venu sur le pas de la porte.


Taisy en resta bouche-bée. Ashley Wilkes semblait transformé en bloc de glace, mais ses yeux lançaient des éclairs à l’homme qui avait pénétré dans le salon sans que le majordome l’introduise.


Admirant l’allure de l’inconnu, elle se dit : « Quel charme ! Une telle présence… Et ce regard noir…attirant comme un aimant ceux de la « Foudre de Georgie ». 


Elle constata que Scarlett s’était raidie, projetant inconsciemment sa poitrine en avant, ce qui eut pour effet immédiat de drainer les pupilles noires du nouvel arrivant sur les beaux atours de l’hôtesse, et de déclencher chez lui un sourire en coin. 


Puis elle vit les yeux de l’homme se poser – non, survoler Ashley Wilkes. En apparence, son air à lui n’avait rien de belliqueux. Mais l’œil averti de Taisy y décela une pointe d’irritation, qu’il dissimula immédiatement. Il le salua d’un hochement de tête, auquel l’autre sembla répondre de manière forcée.


Puis il prononça simplement, d’une voix chaude : « Bonjour Scarlett ! » Aussi vif qu’un jaguar, il s’était approché d’elle et il l’embrassa nonchalamment sur la joue, de la façon la plus naturelle du monde. Elle eut un sursaut de surprise, puis accepta stoïquement ces effusions avec une indifférence marquée.  


« Quelle familiarité ! Il est rentré dans cette pièce comme s’il était chez lui. Serait-ce son amant ? J’ai l’impression d’assister à une pièce de théâtre où tous les acteurs cacheraient leur jeu. » pensa Taisy.


En effet, elle remarqua que Scarlett, en contradiction avec la posture détachée affichée, s’était détournée pour calmer sa respiration dont son bustier avait quelque peine à cacher les palpitations. Son beau-frère avait serré les mâchoires dès que Rhett Butler s’était approché d’elle. Quant à celui-ci, Taisy eut l’impression qu’il n’était pas aussi conquérant qu’il voulait le paraître, si elle en jugeait par son poing dans la poche quand il s’écarta de la jeune femme.


« Pas moins de deux soupirants dans ce salon ! Bravo !» Taisy félicita intérieurement la propriétaire de « The Boutique Robillard ».


Entre-temps, Rhett avait serré la main d’Henri Hamilton, mais elle sentit un durcissement d’attitude de la part du notaire à son égard.


Son amie sembla se recomposer une posture. « Ma chère Taisy, voici Rhett Butler. » Deux mots laconiques, sans plus de précision, ce qui attira aussitôt l’intérêt de Taisy. 


L’hôtesse de Peachtree Street continuait : « Rhett, j’ai le plaisir de vous présenter Madame Taisy Benett, et son mari, Harry. Ils sont originaires de la Nouvelle-Orléans.»


Le charme de Monsieur Butler opéra efficacement sur Taisy lorsque celui-ci la salua en se courbant. Il lui jeta un regard appréciateur, et… elle en fut ravie ! 


Son mari se retourna, en entendant le nom du nouvel invité : « Rhett ! Quelle coïncidence que nous nous retrouvions tous les deux dans cette maison ! » 


Avec surprise, elle vit celui-ci donner une tape amicale dans le dos de son époux en riant : « Il semblerait que nous ne puissions plus nous quitter ! Trois jours déjà ! » Ce à quoi Harry répondit, avec le même amusement : « Et ce n’est que le début d’une longue collaboration… »


Les deux femmes les regardaient, étonnées. Scarlett s’écria : « Vous vous connaissez ? »


Rhett coupa court à l’explication qu’Harry avait l’intention de donner : « Oui. Nous avons eu l’occasion d’échanger nos points de vue sur les améliorations à apporter à la vie culturelle de notre chère cité. N’est-ce pas, Harry ? »  Celui-ci comprit le message, et décida d’être discret sur le sujet de leur rencontre.

 

*****

 


Puis Rhett demanda : « Où est la reine de la journée ? Ma surprise est bien arrivée tout à l’heure, n’est-ce pas Scarlett ? » 


Elle répondit d’un air frustré : « Oui, et je ne l’ai pas ouvert, si c’est ce que vous voulez savoir. J’ai également déposé votre deuxième paquet dans le hall, afin que vous lui offriez vous-même. 


Il eut un petit rire taquin : « Vous mourrez d’envie de savoir ce que c’est, n’est-ce pas, ma petite curieuse ? » Il n’eut pour réponse qu’un soupir énervé.


Scarlett pestait contre elle-même. Pourquoi sa seule présence arrivait-elle encore tant à l’énerver ?


« Vous êtes en retard. J’avais assuré à Ella que son gâteau serait apporté à 17h15 précises. Mais probablement aviez-vous mieux à faire à Atlanta ! » Elle ne pouvait pas cacher son irritation. Elle était d’autant plus frustrée que c’était irraisonné. 


Lui se contenta d’un « Peut-être… » sibyllin en ne la quittant pas du regard. Comme s’il attendait sa réaction. Oh ! Il le faisait exprès pour l’horripiler !  


Décidant de l’ignorer, elle se tourna vers les Benett et l’Oncle Henry. « Je vous propose de me suivre dans le jardin envahi en ce moment par une ribambelle de gourmands. Ensuite, nous reviendrons dans le salon pour profiter de cette belle fin de journée. Oncle Henry, vous qui adorez les sucreries, je pressens que vous allez vous délecter avec le savoureux entremets préparé par notre chère Madame Merriweather. » 


Celui-ci approuva. « Je me réjouis de voir Wade et Ella. Comme le temps passe vite. Neuf ans déjà que cette chère enfant nous enchante ! »


Pensant à une autre petite fille qui ne pourrait plus les enchanter, Scarlett ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil inquiet en direction de Rhett.  Son visage restait impassible. Elle respira de soulagement. 


Ella les vit pénétrer dans le jardin. Sans hésitation, elle se précipita dans les bras de Rhett. « Oncle Rhett, j’avais si peur que vous ne veniez pas. Merci ! C’est le plus beau cadeau d’anniversaire ! » 


Emu, Rhett se baissa pour l’enlacer. Il pouvait enfin se permettre pendant un instant d’extérioriser ses sentiments. Sa famille, elle lui manquait tellement ! « Pour rien au monde, je n’aurais été absent à  l’anniversaire de ma jolie petite fille ! »


Ella rougit sous le compliment. Scarlett avait pâli. En ne s’attardant pas sur les deux anniversaires d’Ella qu’il avait ostensiblement oubliés, des images de la famille qui n’existait plus vinrent bousculer la sérénité de cet après-midi. L’étreinte paternelle de Rhett, l’attachement de sa fille envers le seul homme qu’elle avait considéré comme remplaçant son vrai père… Elle se racla la gorge pour calmer la tension.


« Ella, un peu de tenue ! Tu n’as pas encore salué nos autres invités. » 


La sévérité apparente de sa mère calma l’enthousiasme d’Ella. Elle retrouva ses manières pour saluer son Oncle Ashley et l’Oncle Henry, et les embrasser chaleureusement. Puis Scarlett lui présenta Madame et Monsieur Benett. Elle exécuta une petite révérence polie. 


Taisy la complimenta : « Nous sommes honorés de célébrer ton anniversaire. Ta fête est un enchantement ! »


Scarlett cherchait des yeux Wade. Il s’approcha, accompagné de Beau. 


« Taisy, Harry, laissez-moi vous présenter mon fils, Wade Hampton Hamilton. Et voici son cousin, Beau Wilkes, le fils d’Ashley et de Mélanie. »


Les deux garçons saluèrent solennellement le couple, puis Wade embrassa ses Oncles Henry et Ashley avec affection. 


Beau se tourna vers Rhett : «Bonjour, Oncle Rhett. Je suis heureux de vous revoir », et il lui serra la main. 


Rhett passa affectueusement la main dans les cheveux du garçon. « Moi aussi. Tu as tellement grandi. Tu seras bientôt un homme ! Ta Maman peut être très fière de toi ! »  Le fils d’Ashley en rougit de contentement.


Wade n’avait toujours pas salué Rhett. Scarlett le rappela à l’ordre fermement. «N’as-tu oublié personne ? »

 
Rhett avait feint de pas avoir remarqué l’oubli ostensible de son ancien beau-fils. Devant celui-ci qui lui tendait la main avec réticence, il le gratifia d’une petite tape dans le dos. « Je suis heureux de te revoir, Garçon. Tu dois être bien occupé cet après-midi à maîtriser tout ce petit monde. » 


Scarlett s’adressa à son fils : « Peux-tu demander à Dilcey et Pork d’apporter ce qui était prévu, Wade, ainsi que la bouteille qu’il a mise au frais. »


Rhett le regarda partir. 


Scarlett surprit son expression de regret. « Oui, vous avez tout gâché, Rhett », pensa-t-elle. Elle lui demanda : « Rhett, pouvez-vous faire en sorte que tous les enfants se réunissent autour du buffet ? »


Si elle avait été attentive, elle aurait vu l’éclat heureux dans ses prunelles. Sans qu’elle s’en rende compte, en une phrase, elle venait de déclencher le geste symbolique, lent et tenu, de réintégration de son ancien mari à la place du maître de maison. 


D’un claquement de mains, de sa voix grave et joyeuse, il réussit magiquement à immobiliser les enfants en plein milieu de leurs activités et les faire obéir à son instruction de se réunir et de faire silence avant l’arrivée de la surprise. 


Puis on entendit des « Oh ! », se répercutant d’une bouche enfantine à l’autre : la cuisinière,  secondée par Pork, déposa cérémonieusement le gâteau d’anniversaire sur la table. 


La pièce maîtresse en l’honneur d’Ella Lorena Kennedy était un impressionnant entremet en forme de pièce montée à quatre étages, garni de crème pâtissière et recouvert d’un glaçage. Le pâtissier avait minutieusement inscrit avec la douille, sur le plus large pourtour du gâteau, « Bon Anniversaire, Ella ». Sur la section supérieure, neuf petites bougies venaient d’être allumées par le majordome.


 Ella n’avait plus de mot. Jamais elle n’avait été aussi gâtée pour son anniversaire. Ses iris verts noyés par l’émotion fixèrent Scarlett : « Mère, merci, c’est le plus beau jour de ma vie ! »


Tous les adultes sourirent de cette affirmation si catégorique. 


Sous l’impulsion de Wade, tout le monde, petits et grands, se mirent à chanter : « Joyeux Anniversaire, à toi, Ella ! ». Celle-ci était rouge de confusion.


Rhett la souleva afin qu’elle soit à la bonne hauteur, et lui intima : « Mademoiselle Ella, à vous l’honneur de souffler les bougies ! »


Du haut de son piédestal confortable, la petite fille éteignit d’un souffle les neuf flammes, ce qui lui valut des applaudissements des invités. 


Darcy lui présenta le couteau pour trancher symboliquement la première part. Puis ce fut une ruée d’enfants qui se précipitèrent avec leurs assiettes pour goûter à ce gâteau « aussi haut qu’une maison ». 


Entre-temps, Pork venait d’apporter un seau à champagne en métal argenté, garni de glace, et six flûtes en cristal. 


En fin connaisseur, Rhett s’empara de la bouteille : « Du « Veuve Clicquot ! Bravo, Scarlett. Je croyais que vos talents d’œnologue se tournaient plutôt vers les spiritueux comme le brandy.» Il s’arrêta un instant, railleur, se réjouissant de la saillie qui allait fuser de cette bouche si tentante. Comme elle ne lui répondit pas tout de suite, le gratifiant simplement d’un masque incendiaire, il reprit : « Vous m’impressionnez. Il s’agit probablement d’un des cinq meilleurs producteurs mondiaux de cette boisson si festive. »


Scarlett se réjouit intérieurement de ce qui, elle en était certaine, ne lui plairait pas : « Merci, mais je n’ai aucun mérite en la matière. « La Veuve Clicquot » est un fournisseur habituel de Duncan. Avant de repartir de Charleston, il avait insisté pour m’en offrir une caisse. Heureusement que Pork m’attendait à la gare pour la récupérer. »


Les Benett émirent une mimique admirative à ce cadeau prestigieux. Scarlett constata qu’Ashley s’était soudain détourné, mais Rhett, à la grande frustration de Scarlett, se contenta de dire « Bien ! » « Décidément, il n’est pas jaloux de Duncan. Il a vraiment tourné la page... » La réflexion intérieure de Scarlett lui donna un goût d’amertume dans la bouche. 


Sans rien ajouter, Rhett fit sauter le bouchon en expert, prenant bien soin de ne pas laisser s’échapper les précieuses bulles, et fit le service.


« Comment trouvez-vous le gâteau, Oncle Henri ? » Celui-ci répondit simplement avec un signe appréciateur de la main, continuant à savourer la bouchée de crème pâtissière.


Après quelques minutes, Rhett interrogea Scarlett : « N’est-il pas temps d’offrir nos cadeaux à Ella ? »


Avec son accord, il appela sa belle-fille : « Nous avons encore des surprises pour vous, charmante demoiselle ! » 


Avec ravissement, Ella ouvrit le paquet de son Oncle Ashley. «Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » de Lewis Carroll. Oh ! Merci, Oncle Ashley. Bridget m’avait dit combien ce livre était enchanteur. » Elle le remercia d’un baiser sur la joue. 


L’Oncle Henri lui tendit plus prosaïquement une enveloppe. Surprise, elle l’ouvrit et découvrit quelques pièces de monnaie. En lui mettant une main sur l’épaule, le vieil homme lui conseilla : «Voici le début de ta liberté, ma petite Ella. Tu peux choisir d’économiser, et de garder précieusement cet argent dans ta tirelire pour plus tard.  Ou tu peux décider de l’utiliser pour t’acheter un jouet – avec l’accord de ta Mère, bien entendu. Tu as neuf ans maintenant. C’est une étape importante. Continue à être une petite fille obéissante et agréable. » Et il lui tapota l’épaule, ne sachant pas comment être plus démonstratif dans son affection. 


Taisy lui tendit un petit paquet : « Des bonbons au chocolat ! Je vous remercie, Madame Benett, Monsieur Benett. J’en raffole ! Ma Mère également. Je partagerai avec elle et Wade. » La nouvelle amie de Scarlett la félicita d’être si généreuse.


Pendant ce temps-là, Rhett s’était éclipsé et avait demandé à Pork de l’aider à positionner correctement les planches, toujours enveloppées. et de déposer le grand paquet à côté. 


« Alors, Ella, tu ne me demandes pas quelle surprise je t’ai destinée ? » Il trépidait d’impatience. 


« Comme un enfant le soir de Noël », pensa Scarlett, en le regardant. 


Sans un mot, captivée par cette grande forme masquée au milieu du jardin, Ella s’approcha du grand drap. Avec l’aide de Rhett, elle fit tomber le voile. 


« Oh ! » Une simple onomatopée pour signifier son enchantement. Les enfants qui les entouraient maintenant joignirent leurs exclamations de surprise aux paroles enthousiastes. 


Les adultes s’étaient joints au groupe. Harry était le plus admiratif d’entre eux. « Rhett ! C’est presque une œuvre d’art que vous offrez à la fille de Scarlett ! Quelle originalité ! »


Ella n’avait toujours pas retrouvé sa voix. Rhett s’arrêta un instant sur le sourire de contentement de Scarlett, et dit à sa belle-fille : «Voici la première partie de ton cadeau. »


Sans un mot, Ella enlaça son beau-père. «C’est la plus belle chose que je n’aie jamais reçue ! « Le Théâtre d’Ella ». Et tous ces magnifiques personnages peints… On dirait qu’ils vont sortir du décor ! »


Rhett avait les yeux qui pétillaient, satisfait d’observer Ella, Scarlett, et même Wade, tous trois fascinés par le théâtre de marionnettes qu’il avait imaginé. 


 Il était constitué de trois panneaux en bois, la partie centrale faisait au moins 1,90 m de hauteur, les côtés pleins n’excédant pas 1,30 m. Le menuisier avait conforté la stabilité de l’écran pliable avec des barres métalliques, ce qui assurait la stabilité des angles droits des panneaux assemblés. 


Sur le panneau central, le menuisier avait découpé, à partir de 70 centimètres du sol, une fenêtre d’une hauteur de 80 centimètres et de 1,10 mètre de largeur. 


Rhett expliqua : « Cette hauteur de scène sera parfaite pour que tous, petits et grands, puissent profiter, assis, du spectacle. Vous vous demandez peut-être pourquoi une telle largeur ? Tout simplement parce qu’il va falloir de la place pour que nos personnages se déplacent à l’aise sur la scène. »


 Pour l’heure, celle-ci était occultée par une paire de rideaux de velours pourpre. L’artisan avait soigné la finition de la partie haute en découpant des courbes harmonieuses et symétriques, qui avaient été peintes en doré.


Ella, Wade et Beau s’étaient mis à inspecter de près chaque détail du théâtre décoré. Les autres enfants tournaient autour. 


« Regarde, Ella ! On dirait que c’est toi qui va sortir du tableau ! » Le panneau central surplombant la scène représentait un cadre aux moulures dorées. Mais, par un effet magique, ou plus sûrement grâce au talent du peintre, des personnages semblaient jaillir des bordures avec vigueur. En premier plan, la tête d’une petite fille émergeait de la fenêtre, les bras sur la moulure. Elle avait les traits simplifiés de l’héroïne d’un conte de fée, mais sa chevelure était rousse et ses yeux verts. 


Rhett commenta gentiment : «Ce n’est plus « Alice au Pays des Merveilles », mais bien «Ella au pays des Merveilles. Tu vois les poupées qu’elle actionne en glissant sa main dans le corps en tissu ? Il s’agit des plus anciennes marionnettes françaises, Guignol et Madelon, son épouse. Derrière eux, le gendarme les surveille. »


Ella buvait les paroles de son beau-père. Il lui avait tellement manqué ! Alors, le fait qu’il l’entourait d’attention, et prenait le temps de lui expliquer le sens des illustrations, était en soi le plus beau des cadeaux.

 
Quelques discrètes ouvertures avaient été prévues en plein milieu du cadre, afin de permettre au manipulateur – Ella – de profiter de la réaction de ses spectateurs.   


Le titre « Le Théâtre d’Ella » figurait à l’intérieur d’une enseigne à l’aspect de fer forgé.  


Sur un des panneaux latéraux, une forêt épaisse ne pouvait pas cacher le loup, se tenant sur deux pattes, dont la taille couvrait presque toute la hauteur du plan. Le Petit Chaperon Rouge était visible à l’arrière, mais ne risquait rien, car les deux pattes du loup étaient absorbées à manipuler deux marionnettes à fil. Une dizaine de petits personnages fantastiques étaient dissimulés dans les branches des arbres. Avec l’effet du trompe-l’œil, ils semblaient prêts à bondir sur les spectateurs.  Ella s’exclama :  « Wade, les reconnais-tu ? Ce sont eux qui illustrent notre plus ancien livre de contes, dans la salle de jeux. »  


Son frère opina de la tête. Il était étonné que son ancien beau-père ait pris le temps d’imaginer une surprise si agréable pour sa sœur. 


Sur le panneau de gauche, des marionnettes à fils s’étaient libérées de leurs manipulateurs. Une gisait à terre, les jambes manifestement désarticulées. Les autres donnaient l’impression de courir en direction de l’assistance, car les proportions entre elles étaient parfaitement respectées pour donner le sentiment d’une échappée effrénée, fuyant leurs maîtres. Mais ceux-ci semblaient se vengeaient, car les bras des marionnettes en fuite semblaient partir dans tous les sens, faute de suspension.   


 « Qui a peint ces scénettes ? Vous avez recruté un artiste de talent, Rhett ! Le travail en trompe-l’œil est remarquable ! Quelle précision dans le jeu d’ombres et de lumières ! » Harry, avec son recul d’expert en art, était impressionné par le résultat obtenu. « Cela démontre une parfaite maîtrise des lois de la perspective dans l’architecture. » 

 

Très heureux du résultat, Rhett déclara : « Tout le mérite revient à Scarlett ! C’est elle qui a détecté les qualités artistiques d’un jeune peintre français, et l’a embauchée. Je n’ai fait qu’emprunter ses services pendant deux jours. Sans elle, je n’aurais pu trouver ici qu’un piètre peintre amateur pour animer le théâtre d’Ella.»

 

Les invités de Scarlett la félicitèrent tour à tour d’avoir découvert un artiste si talentueux. 

 

L’hôtesse de Peachtree Street était un peu confuse de tant d’éloges, d’autant plus que le seul motif qui l’avait animée, en engageant Aimé Tersène, était le tarif bas de ses services. C’était bien la première fois qu’elle recevait le moindre compliment pour ses présumées connaissances artistiques ! Et le plus étonnant était que c’était Rhett qui avait déclenché ces effluves d’éloges. « Lui qui s’est toujours moqué de mes goûts esthétiques ! C’est à ne plus rien y comprendre… »

 

Elle le questionna du regard. Elle vit que ses yeux pétillaient de plaisir, et comprit que lui aussi trouvait cette situation cocasse. Et qu’il en était ravi.

 

Harry se laissa emporter par ses motivations de Directeur des Arts et de la Culture d’Atlanta. « Si vous me le permettez, Scarlett, je serais heureux de faire la connaissance de cette artiste. J’ai déjà en tête un ou deux projets que je pourrais lui confier. Lorsqu’il aura terminé son  travail auprès de vous, bien entendu. D’ailleurs, je me demande… » Il s’interrompit, hésita, puis reprit : « Je me demande s’il ne serait pas judicieux que vous nous aidiez à recruter d’autres artistes. Si tous vos contacts sont de cette qualité, cela serait certainement bénéfique pour notre Ville. »

 

Scarlett resta interdite. Elle lut dans les yeux d’Ashley la stupéfaction, et s’en délecta un peu. Ce n’était pas souvent qu’elle pouvait briller ainsi à ses yeux pour autre chose que sa beauté, sa passion de la vie ou son sens des affaires. 

 

Amusé, Rhett apostropha son nouvel ami avec un grand éclat de rire : «Les talents de Scarlett O’Hara sont multiples. J’ai été le premier à les déceler. » 

 

Scarlett le toisa, prête à bondir. Il le remarqua immédiatement, et son rire taquin repartit de plus belle. 

 

Taisy observait cette joute orale. Elle surprit l’air courroucé du beau-frère de Scarlett qui jeta à Rhett Butler un regard incendiaire. Ou de haine. De haine ? Pourquoi, quels étaient leurs rapports ? « Le premier à les déceler ». Depuis quand Rhett et Scarlett se connaissaient-ils ? Il semblait qu’il y ait un conflit entre eux. Du moins, le comportement glacé de son amie le laissait présumer. Tant de mystères que Madame Benett mourrait d’envie de comprendre.

 

Wade passa derrière l’écran et vit l’estrade à gradins. Celle-ci était à la dimension intérieure exacte du théâtre. Elle était équipée de tiges métalliques fixées sur le bas du paravent,  ce qui assurait encore plus la stabilité de l’ensemble. 

 

Le garçon remarqua : « Les marches supérieures sont hautes. Pour des marionnettes, est-ce utile ? » 

 

Rhett lui donna raison « Mais attends que ta sœur ait ouvert sa deuxième surprise, et tu comprendras. ». Il tendit à Ella le grand paquet qu’il avait apporté avec lui vendredi. 

 

Quand elle ouvrit la boîte, Ella resta muette devant l’originalité des quatre poupées. Tous les yeux des enfants et adultes, étaient maintenant rivés sur ces objets de bois, tissu et papier mâché, qui dégageaient en eux-mêmes une atmosphère particulière. 

 

Rhett en prit une en main.

Les Fantôches de Thomas Holden (Source World Encyclopedia of Puppetry Arts, https://wepa.unima.org/fr/thomas-holden/

Les Fantôches de Thomas Holden (Source World Encyclopedia of Puppetry Arts, https://wepa.unima.org/fr/thomas-holden/

« Ella Lorena, j’ai l’honneur de te présenter les « Fantôches » de Monsieur Thomas Holden, le plus célèbre marionnettiste anglais*. Sa compagnie a parcouru les Etats-Unis pendant deux ans, même dans les villes du Far-West, jusqu’à San Francisco. Ils viennent juste de repartir en Angleterre.»

 

Tous les enfants s’étaient mis autour de Rhett et étaient suspendus à ses lèvres. 

 

Une fois de plus, Scarlett releva à quel point il était à l’aise avec eux. Il avait le talent de les captiver. 

 

S’adressant aux petits spectateurs, il continua son récit : « J’ai eu l’occasion d’assister à un de leurs spectacles. Croyez-moi, ils font la joie des adultes, aussi bien que des enfants. 

Tournée américaine de la troupe anglaise de marionnettes Bullock avec Thomas Holden. ( (Source World Encyclopedia of Puppetry Arts)
Tournée américaine de la troupe anglaise de marionnettes Bullock avec Thomas Holden. ( (Source World Encyclopedia of Puppetry Arts)

Tournée américaine de la troupe anglaise de marionnettes Bullock avec Thomas Holden. ( (Source World Encyclopedia of Puppetry Arts)

Sa troupe s’appelle les « Imperial Marionettes ». Imaginez-vous un monde miniature, peuplé de personnages pas plus grand que 65 centimètres, prenant vie pour incarner des contes comme Le Petit Chaperon Rouge, La Belle et la Bête, ou Jack le tueur des géants. Sur une scène grandiose, leur équipe peut manipuler trois-cents marionnettes ! J’avoue que j’ai été très impressionné moi-même. »

 

Wade le regarda avec circonspection. Comment cet homme qui avait été si cruel avec sa mère pouvait avoir le regard d’un enfant émerveillé par un monde de poupées ? Il constata une fois de plus que sa sœur était en admiration devant leur beau-père. « Au moins lui offre-t-il un cadeau d’anniversaire qui la marquera à jamais »

 

Heureux que tant d’oreilles attentives l’écoutent, Rhett continua : « Ce Monsieur Holden a perfectionné le système pour les manipuler, et surtout pour rendre les fils presque invisibles. Je t’expliquerai tout cela plus tard, Ella. Sache que tu as devant toi des marionnettes que seuls des manipulateurs professionnels peuvent faire vivre. Imagine que, pour faire bouger la plus simple poupée, tu doives activer neuf fils d’une seule main »

 

Ella, comme d’autres enfants, mit sa main devant la bouche pour cacher sa mimique d’étonnement. Et puis, elle s’inquiéta de décevoir son beau-père : « Mais, Oncle Rhett, jamais je ne serai capable de les faire vivre ! »

 

Celui-ci regarda dans les yeux la petite fille : « N’aie aucune inquiétude, Ella. Je serai là pour t’apprendre à les animer. Monsieur Holden m’a enseigné quelques manipulations, et je me perfectionnerai, en ta compagnie. »


Ella ne fut qu’à demi rassurée. Elle lui objecta, en hésitant : «J’adorerais que vous m’appreniez. Mais… Oncle Rhett, comment le pourriez-vous ? Vous n’êtes plus jamais à Atlanta ! » 

 

Rhett se redressa. Il s’attarda sur les yeux verts de Scarlett qui l’écoutait avec curiosité. Intérieurement, il s’admonesta. « Allez ! Courage. Il faut qu’elle trouve cela naturel… »

 

Un poing résolument dans ses poches de pantalon, l’autre main posée sur l’épaule de sa belle-fille, il annonça : « Nous aurons tout le temps. Le samedi ou le dimanche, ou même une fin de journée en semaine – après que tu aies fait tes devoirs, bien entendu. Il se trouve que je doive rester à Atlanta pour mes affaires pendant quelques temps. »

 

Plusieurs paires d’yeux d’adultes le regardèrent avec stupeur…

 

Auteur : Arlette Dambron

 

#marionnettes à fil, #marionnettes anglaises, #compagnie anglaise de marionnettes, #marionnettes 19e siècle, #Thomas Holden, #fantoccini, #fanfiction, #fantic, #autant en emporte le vent, #suite d'autant en emporte le vent, #écriture, #roman

Exemple d'un théâtre ambulant de la compagnie britannique Tiller Clowes fin 19e siècle (Source  World Encyclopedia of Puppetry Art)

Exemple d'un théâtre ambulant de la compagnie britannique Tiller Clowes fin 19e siècle (Source World Encyclopedia of Puppetry Art)

Notes sur le chapitre 29 : 

(*)William John Bullock (1832-1882), Directeur de théâtre de marionnettes et marionnettiste britannique. À l’automne de 1873, Thomas Holden partit en Amérique avec les Bullock’s Royal Marionettes. Il s’en sépara pour créer son propre groupe. Ayant débuté à Philadelphie (mars 1874), avant de passer à Cincinnati puis à San Francisco, ils firent ensuite la tournée des villes de l’Ouest. En 1875, Thomas Holden tourna en Grande-Bretagne avec sa propre compagnie.

On attribue à Thomas Holden le fil d’archal, la toile de fond de scène à rayures verticales pour rendre moins visibles les fils de la marionnette. (source : World Encyclopedia of Puppetry Arts, wepa.unima org -  https://wepa.unima.org/fr/thomas-holden/

 

Disclaimers : je n'ai aucun droit sur l'histoire et les personnages d'Autant en Emporte le Vent qui appartiennent à Margaret Mitchell. J'ai créé le "monde" de Duncan Vayton et de Blanche Bonsart. 
 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article