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Read on line, follow the updates of my historic novel The Boutique Robillard, fandom of Gone with the Wind (in English, click on top)

 

 

 

Lisez en ligne mon roman historique, dans l'Amérique de 1876 : La Boutique Robillard, ma suite d'Autant en Emporte le Vent (en français)

Publié par Arlette Dambron

Chapter 39. Préparatifs

 

Mercredi 30 juin 1876, Charleston, maison des Butler à la Battery

 

Scarlett repartit de Charleston le lendemain. Rhett attendit deux jours, le temps de répondre à la proposition du Conservateur du Musée du Louvre, sur la dernière offre de liste de prêt d’antiquités égyptiennes.

Il intercepta Rosemary qui s’activait à servir le thé. « J’ai rencontré chez des amis une jeune femme charmante, Madame Gladys Matisson. Tu dois certainement la connaître, n’est-ce pas ? »

Sa sœur le regarda avec curiosité. « En effet, il nous est arrivé de nous croiser lors d’activités associatives. Son mari… »

Rhett la coupa : « Ne parlons pas de son mari. C’est un rustre. Elle, par contre, témoigne d’une solide culture. Elle est férue d’histoire de l’art, et tout particulièrement de l’évolution des styles architecturaux qui ont marqué la physionomie de Charleston. Ne trouverais-tu pas judicieux qu’elle témoigne de ses connaissances auprès des membres de ton club éducatif ? »

Cela avait été prononcé nonchalamment. Mais la fille d’Eleonor Butler n’était pas dupe des schémas de pensée de son roué de frère.

« C’est en effet une bonne idée. Mais… pourquoi cet intérêt soudain pour cette femme mariée ? Je te connais suffisamment pour savoir que tu n’as pas émis cette suggestion au hasard. Je me permets de te mettre en garde sur d’éventuelles visées qui pourraient entacher à nouveau… »

Le rire tonitruant de Rhett mit fin à ses conseils moralisateurs. « Ma chère sœur, tu as toujours eu le talent de m’étonner avec ton imagination débordante. Surtout en ce qui concerne ma vie sentimentale. »

Elle rougit, vexée qu’il lise si clairement en elle.

« N’aie aucune crainte. Loin de moi l’envie, ni même l’idée, de corrompre la vertu d’une grande dame de notre vénérable ville. Mon offre est des plus respectables et sans arrière-pensée. Son éloquence en la matière m’a tout simplement impressionné. Comme elle m’a témoigné son amitié, j’ai décidé de briser la monotonie de son existence en faisant profiter les Dames charlestoniennes de son érudition. Que dirais-tu de l’inviter à prendre le thé afin que vous puissiez en discuter ? »

Rosemary le regarda, méfiante. Son frère n’avait pas pour habitude d’agir dans le bien de la communauté gratuitement, sans que la finalité ne tournât à son profit. Mais, même si elle se doutait que cet intérêt soudain pour l’insipide Gladys Matisson était suspect, elle acquiesça :

« Je dois avouer que beaucoup de nos membres seraient intéressées par un tel sujet. Je vais la convier à venir la semaine prochaine pour discuter du programme d’enseignement de la future session automnale. »

 «Attends mon retour. J’aimerais être présent lorsqu’elle viendra, car je voudrais l’entretenir d’une possible exposition sur l’architecture ante-bellum de la Caroline du Sud. Je reviendrai à Charleston dans une quinzaine de jours. »

Rosemary eut une expression intriguée. Il était évident que son frère lui cachait ses intentions. Puis elle se rassura. Mieux valait qu’il s’intéressât à la gente féminine de Charleston plutôt qu’à celle d’Atlanta.

Eleonor était restée silencieuse pendant l’échange entre ses deux enfants. Mais la dernière phrase entendue la fit sortir de son mutisme.

« Je suis peinée que tu aies choisi de ne pas être présent pour la fête du Centenaire de notre indépendance le 4 juillet. Tu devrais rester avec nous, mon fils. Un jour historique comme celui que nous allons vivre doit se passer en famille. Tu dois être parmi les tiens. Non isolé parmi des étrangers à Atlanta ! »

Rhett dut faire appel aux règles ancestrales de respect qu’un fils doit à sa mère pour ne pas lui répondre vertement. Frustré de ne pouvoir faire exploser sa rage, il écrasa avec violence son cigare dans le cendrier. Les sourcils froncés et les mâchoires serrées, il martela d’une voix métallique : «Bonnie est à Atlanta. Mes beaux-enfants – non, mes enfants sont à Atlanta. Et Scarlett est à Atlanta. Ma famille est là-bas. »

Il la laissa, paralysée par ce constat impitoyable.

Il remit sa veste, prit son chapeau et claqua la porte derrière lui.

 

ooooOOOoooo

 

 

Samedi 3 juillet 1876, en soirée, Atlanta, Peachtree Street

 

Nous en discuterons à Atlanta…

Sa réponse jaillit au bout de quelques secondes. Cela fut dit poliment, avec le sourire, sur le ton léger qu’affectionnait Scarlett en société, entendu par tous les invités à la table de Rebecca Paxton, qui avaient été interloqués par l’annonce d’un voyage imminent à Washington entre Rhett et son ancienne épouse.

Seul celui-ci détecta les mille éclats vert émeraude qui le visaient avec fureur. La bataille va être rude… s’amusa intérieurement l’ancien mari de Scarlett O’Hara.

Madame Scarlett Vayton….

Dès la seconde où Scarlett avait exhibé sa bague de fiançailles devant lui, il avait compris que ses chances pour regagner son cœur étaient infimes. Scarlett n’aurait pas accepté ce bijou si elle n’avait pas pris la décision irrévocable de lier son destin à cet homme. Un étranger qui deviendrait le nouveau beau-père de Wade et d’Ella. Un bellâtre à qui elle pourrait légitimement accorder plus qu’un baiser, à qui elle lui ouvrirait sa couche et lui donnerait droit à lui faire l’amour. Combien de temps ces fiançailles allaient durer avant qu’elle ne devienne Madame Scarlett Vayton ? Il n’était pas surpris de sa décision. Amer, désabusé, désespéré, ravagé, mais pas étonné. D’ailleurs, quelle femme aurait refusé de se marier à un si beau parti ?

Mais, au tréfonds de lui, une petite flamme ne se résignait pas à s’éteindre.

Rhett Butler ne s’était jamais avoué vaincu. Sauf devant le destin tragique de sa petite fille. Combien de fois avait-il joué sa vie comme une simple partie de poker, avançant avec la brutalité d’un buffle prêt à saccager tout sur son passage afin d’atteindre son but ? Dans sa jeunesse agitée, dans les bas-fonds de la Nouvelle Orléans ; pendant la guerre comme briseur de blocus, narguant chaque jour, avec une témérité impudente, la mitraille ennemie ; jusqu’à son combat le plus âpre, car primal, avoir réussi à ce que Scarlett portât enfin son nom. Scarlett Butler.

Ce jour-là, il avait atteint son Graal. Du moins s’en était-il persuadé au lendemain du décès de Frank Kennedy. Mais très vite il avait voulu changer les règles de leur accord sur un mariage « amical ». Il ne s’était pas contenté de ce que Scarlett voulût bien lui accorder, des miettes de tendresse alors qu’elle réservait sa Passion à un autre. Malade d’amour, pendant douze longues années, il avait été à l’affût de la moindre inflexion de sentiment de sa femme à son égard, la plus petite caresse dont elle le gratifiait d’un geste détaché, comme elle aurait pu faire de même pour le chien de Wade.

Il l’avait abreuvée de cadeaux, des joyaux les plus clinquants aux caprices les plus dispendieux.

Tout sauf une déclaration d’amour à la femme qu’il adorait. Un aveu qui aurait fini par le dénuder jusqu’à l’os. Dont Scarlett se serait délectée pour finir par le ridiculiser de son rire cristallin.

Oui, sa fortune n’avait pas suffi. Elle voulait autre chose. Quelqu’un d’autre. Son chevalier déchu à l’armure oxydée.

Alors il avait choisi de la faire souffrir. Sans pitié. Aussi implacablement que le mal qui le rongeait.  Au point ultime où il ne restât même plus de la haine, mais une atrophie de toute émotion. Un cœur sec. Et ce jour de novembre 1873. Ces horreurs proférées avec une indifférence cruelle. Une liasse de documents notariés, informels. Engageant leur destin à tous deux. Non, à tous quatre, puisqu’il avait abandonné en même temps ses deux beaux-enfants. Tranchant leur lien avec la précision chirurgicale de la lame la plus effilée.

En ce soir du 3 juillet 1876, il se retrouvait au même endroit où il avait commis la plus lourde erreur de sa vie.

A la mort de Mélanie, il n’avait pas cru à la transfiguration subite de l’épouse infidèle en amoureuse de son mari. Non, plutôt au réflexe d’une enfant gâtée ayant pour caprice de convoiter ce qui ne lui appartenait pas. Et quand son bel Ashley fut accessible, offert par l’épouse généreuse avant de partir, celui-ci perdit la tentation du fruit défendu.

L’avait-elle réellement aimé à ce moment-là, lorsqu’elle lui avait fait sa déclaration d’amour, dévastée par la mort de Melly ? L’interrogation persistait, lancinante. Presque trois ans après, est-ce qu’elle était tombée amoureuse de Vayton ? Il avait toutes les raisons d’y croire.

Pourtant, malgré la preuve intangible qu’elle allait se remarier, Rhett était fermement décidé à ne pas baisser les bras. Il y avait un lien indestructible qui les liait. Bonnie. Wade et Ella. Mais aussi tant de complicité, de sourires taquins, de compréhension à demi-mot, de confrontations passionnées… Puis, malgré ses yeux vengeurs, elle avait fait preuve, depuis le soir du défilé, de petits signes d’attention à son égard. Comme si ceux-ci avaient échappé à sa carapace d’indifférence marquée à l’égard de son ancien mari. Ma petite infirmière, s’amusa Rhett.

Il y avait deux indices qui le confortaient dans son espoir que tout était encore possible : 

Depuis mardi dernier, Duncan Vayton n’était plus l’homme parfait inattaquable. Il avait une faille. Il la creuserait dès son retour à Charleston.

D’autre part, plus il y réfléchissait, plus il trouvait que l’empressement qu’avait eu Scarlett à lui révéler sa bague de fiançailles était un geste de défi. Or, si son ancien mari lui était devenu indifférent, elle n’aurait trouvé aucun amusement à le provoquer avec Ashley et l’indécent épisode de la cuillère, et surtout de parader avec son nouveau galant devant lui. Or elle s’en était amusée, il en était certain maintenant.

Il fallait qu’elle accepte de l’accompagner à Washington. Pour renouer leur profonde complicité d’antan, et se retrouver en tête à tête…

Ensuite, il arriverait à la convaincre. Il le devait ! Il lui avouerait enfin qu’il l’aimait. Si elle lui laissait une chance, s’ils pouvaient à nouveau former une famille tous les quatre. Il avait eu tellement faim d’elle pendant ces trois dernières années. Non ! Depuis beaucoup plus longtemps. Comme il en rêvait… Respirer le même air, humer son parfum entêtant de pièce en pièce, frôler par inadvertance une boucle couleur d’ébène ou sa peau aux reflets nacrés…

Mon Dieu, je l’aime comme un pauvre fou !

Rhett se tint bien droit avant de frapper à la porte de son ancienne maison. Il allait trouver le moyen d’empêcher ce mariage. Foi de Rhett Butler !

 

ooooOOOoooo

 

A peine avait-il cogné le heurtoir que Pork ouvrit le battant.     

Un large sourire heureux l’accueillit. « Messié Rhett, quel plaisir de vous voir de retour. Ma’am Scarlett est dans son bureau. »

 Son ancien maître le remercia, déposa son chapeau dans l’entrée et se dirigea vers la bibliothèque.

 

La porte était entrebâillée. Légèrement mais suffisamment pour que Rhett se dispensa de frapper au bois panneauté pour signaler sa présence.

Les rideaux avaient été partiellement tirés, mais les fenêtres étaient ouvertes pour laisser l’air qui se rafraîchissait enfin après cette chaude journée.

Elle n’avait pas allumé le grand lustre, préférant, comme à son habitude, l’éclairage indirect des lampes à huile dispersées prêts du canapé, de son bureau et de l’écritoire. Un jour, elle lui avait confié que cette ambiance tamisée était le meilleur garant du silence nécessaire à sa concentration.

De la même façon, elle préférait, depuis quelques années, travailler debout, son livre de comptes posé sur le meuble écritoire en acajou. Probablement parce que cette femme active voulait être libre de se mouvoir sans que le confort d’un fauteuil de bureau ne l’entraînât au relâchement.

Le jeu de lumières et d’ombres, la flamme des lampes frémissant sur l’effet du filet d’air extérieur, illuminaient par intermittence son chignon relâché à cette heure, transformant les mèches en brins incandescents pour ensuite se fixer sur son visage.

Sa tâche l’absorbait tant que ces sourcils étaient froncés par la réflexion. Ses doigts jonglaient entre le crayon de bois indispensable pour effectuer les opérations, et le porte-plume qui scellait les écritures sur les pages quadrillées.  

Elle était si appliquée qu’elle ne remarqua pas son entrée dans la pièce.

« Hum… » Il se racla la gorge à un mètre derrière elle.

Elle sursauta, se retourna et lui dédia son plus sincère sourire. Qu’elle transforma aussitôt en mimique d’indifférence marquée.

« Rhett Butler à cette heure tardive ! Les tripots sont-ils exceptionnellement fermés ce soir à Atlanta ? »

Décidant qu’il valait mieux ne pas relever le sarcasme, il déposa sans façon un baiser sur le coin de ses lèvres.

Prise de court par ce geste intime, elle ne réagit pas.

« J’ai préféré venir vous voir à cette heure propice aux discussions cordiales. »

Levant les yeux au plafond en signe de feinte surprise, elle fit ensuite mine de se replonger dans ses calculs.
 

« A la célérité avec laquelle vous additionnez les montants, je constate avec plaisir que les affaires ont été bonnes. »

Elle releva son crayon et le regarda d’un air satisfait : « Les deux dernières semaines ont battu des records au magasin – Et, même si ma modestie doit en souffrir, malgré mon absence. Rendez-vous compte, j’ai vendu une dizaine de robes. Au point qu’il va falloir passer une commande urgente à mon fournisseur « Johnson Ready-to-Wear » afin de me réapprovisionner. »

Sans y prendre garde, elle retrouva le ton euphorique qu’elle lui réservait au temps où elle était fière de lui raconter ses dernières ventes juteuses à la scierie ou au magasin Kennedy. «J’ai même concédé à vendre – à prix d’or – deux des modèles exclusifs de Duncan. Cela me chiffonne car cette série est limitée. » Elle prit un air rêveur : « A moins qu’il accepte exceptionnellement de reprendre la production de sa ligne expérimentale pour le prêt-à-porter. »

Son ancien mari n’eut aucun mal à lire son cheminement de pensée. Elle était en train d’échafauder des arguments pour convaincre le couturier débordé de privilégier le réassortiment de The Boutique Robillard. Mieux valait, pour sa propre sérénité, qu’il n’imaginât pas les moyens de persuasion contraire à la décence qu’elle était prête à employer…

«Les grandes dames d’Atlanta et des environs se sont ruées dans la boutique pour s’accaparer les plus belles parures afin de parader demain au barbecue du Centenaire. Mes deux vendeuses, Emma et Patricia, ne savaient plus où donner de la tête. Ma couturière et ma retoucheuse ont dû allonger leurs journées de travail jusqu’à la soirée avancée afin d’ajuster chaque tenue aux mensurations des clientes. Quant à mon livreur, Peter Calvet, il a épuisé le cheval à force d’assurer les livraisons dans le voisinage. »

Emporté par l’enthousiasme de sa femme d’affaire préférée, Rhett la taquina : «Je pourrais parier que vous avez facturé à prix d’or les heures supplémentaires de vos salariés. »

« Taratata ! Mes tarifs sont les plus justes. Pour ma bourse, évidemment… Mais je guette avec impatience le prochain acheminement de marchandises que Duncan importera de France car mes rayons des accessoires ont été dévalisés. Lorsque vos yeux seront à l’affût des belles d’Atlanta demain, ce dont je ne doute pas – ajouta-t-elle d’un air pincé - sachez que leurs plus belles ombrelles, leurs gants de dentelles, foulards de soie et bourses en perles proviennent de The Boutique Robillard. Il n’y a qu’à vous que je puisse avouer les marges éhontées que j’ai réalisées sur ces frivolités parisiennes. Je me demande vraiment quand je pourrai en importer d’autres. »

L’opportunité de couper l’herbe sous le pied de son rival était trop belle : «Inutile d’attendre l’expédition de Vayton. Dès le lendemain de la fête, vous allez être en mesure de passer commande auprès de votre fournisseur parisien. J’inclurai vos caisses dans la première cargaison d’antiquités et de tableaux qui quittera le port du Havre dans un mois. D’ailleurs, je suis venu ce soir pour vous parler de l’avancement des travaux. Dans trois mois, si tout se passe comme prévu, le Bonnie Blue Butler Arts Museum d’Atlanta ouvrira ses portes. Avec l’aide d’Henry Benett, je suis sur le point de recruter le Conservateur du Musée, quelqu’un de cultivé, d’innovateur et d’intègre. Ce dont nous avons besoin à un tel poste. Quant au Musée de Charleston, l’aménagement et la sécurisation des lieux seront promptement menés puisque nous nous sommes mis d’accord pour utiliser un bâtiment d’expositions préexistant. »

Scarlett ne cacha pas son étonnement : « Lorsque vous m’avez révélé votre envie de créer un musée en l’honneur de Bonnie, je ne pensais pas qu’il verrait le jour si rapidement. »

Le front de Rhett se rida un peu plus : « Cela fait bien plus de deux ans que l’idée a germé en moi : que le nom de notre fille chérie ne soit jamais oublié. Quoi de mieux que l’art pour faire savoir à tous qu’il a existé sur cette terre un ange, aussi adorable que belle ? Elle aurait été, j’en suis persuadé, une artiste, tant elle rayonnait d’imagination. »

Sa voix se brisa. Il était à nouveau perdu dans sa peine.

Scarlett sentit ses pupilles se noyer. Sans en avoir conscience, elle se rapprocha du père désespéré et posa sa tête contre sa poitrine pour s’y nicher.

De sa main gauche, Rhett lui entoura la taille. De l’autre, il caressa les cheveux d’un mouvement répété et tendre, comme un dresseur expérimenté le fait pour apaiser un pur-sang sauvage.

Les deux mains de son ancienne épouse s’agrippèrent à sa veste, l’écartèrent pour mieux profiter de la chaleur apaisante à travers sa chemise.

Ils restèrent ainsi pendant quelques instants, ou quelques minutes. Ils avaient perdu la notion du temps.

C’était la première fois, depuis la mort de leur fille, qu’ils la pleuraient ensemble.

Il l’entendit à peine lorsqu’elle murmura : « Cette douleur qui me paralyse au point qu’elle m’empêche parfois de respirer, croyez-vous qu’elle s’apaisera un jour, Rhett ? »

Le front de celui-ci était parcheminé de rides, un pli amer au coin de la bouche. « Je vous le souhaite de tout mon cœur, Scarlett. Pour ma part, je vis avec elle, comme une vieille amie. Je sais qu’elle ne me quittera plus jusqu’à mon dernier souffle. »

L’haleine chaude de la jeune femme traversait sa chemise en lin. Sa suffocante chaleur exaltant son odeur unique, reconnaissable entre toutes, l’inondait par vagues brûlantes et glacées, le faisant frissonner au point qu’il commença à trembler.

Autant pour se calmer que pour apaiser sa femme, il lui murmura des paroles affectueuses entrecoupées de baisers sur sa chevelure de soie. « Ma douce, ne pleurez plus. Notre Bonnie est au Ciel avec Mélanie. Elle ne souffre pas. Elle veut vous voir sourire. Elle aimait tant provoquer vos éclats de rire ! Je suis là, ma Douce. Si douce… »

Ce mot tendre, qu’il lui avait réservé pendant leurs nuits d’amour, la fit réagir. Elle retira ses mains de la poitrine de son ancien mari, comme si les flammes d’un feu ardent allaient la consumer.

En se reculant, elle remit machinalement dans son chignon une mèche qui s’était échappée, et s’installa à nouveau devant son écritoire, manipulant nerveusement son crayon.

Séparé de la chaleur de son corps, Rhett frissonna. C’est probablement la dernière fois que je l’ai tenue dans mes bras. Bientôt, elle cherchera le réconfort auprès d’un autre. Il enfonça son poing dans sa poche pour calmer son émotion.

Il jugea préférable de ne pas commenter ce moment d’intimité dont il avait rêvé depuis tant de jours et de nuits, et reprit leur conversation initiale.

« Tout se met en place. Nos interlocuteurs sont enthousiastes. Le Metropolitan Museum of Art est plus qu’heureux de collaborer avec nous. Avec ses cinq années de sa jeune existence, il n’est pas en mesure de prêter une collection importante d’œuvres au Louvre, mais son directeur est impatient de faire travailler en harmonie avec notre fondation (*1).  Quant au plan financier, j’aimerais vous en entretenir au calme afin que vous passiez en revue la balance des débits et des apports de nos partenaires mécènes. Je vous présenterai très prochainement l’équipe de comptables et financiers qui vous rendront compte de leur gestion. »

Scarlett fit une moue. «Le titre de Présidente du Fonds de Gestion de la Bonnie Blue Butler Arts Museums Foundation est prestigieux.  Je comprends pourquoi vous m’en avez gratifiée, pour notre fille. Cependant, pour être honnête, je n’y serai pas à ma place. Cette fonction implique une écrasante responsabilité. »

Il la coupa pour effacer ses doutes : « N’ayez aucun doute. Votre place est légitime. Je connais votre rigueur budgétaire. Vous serez parfaite pour remplir ce rôle. Les experts-comptables que la Fondation emploie sont les meilleurs sur le marché. Ils vont assumer leurs tâches avec efficacité et autonomie, sous mes directives. Mais leur productivité sera d’autant plus optimisée avec la mise en place d’une supervision mensuelle, ou bimensuelle, pendant une journée. La femme d’affaire aguerrie que vous êtes sait que la meilleure technique pour assurer la loyauté est un contrôle de fer. Vous serez secondée dans cette étape par mes deux meilleurs gestionnaires d’affaires qui garantiront l’exactitude des comptes. Mais c’est vous qui disposerez du couperet pour mettre un terme aux dépenses inutiles.»

La posture de Scarlett s’était détendue.

Il conclut son plaidoyer en la taquinant : «Pour ce faire, il vous suffira de les toiser de vos beaux yeux de feux, comme vous savez si bien le faire, et ils se conformeront à vos désirs, de peur que la foudre ne s’abatte sur eux ! » 

Son petit rire moqueur fut accueilli par une moue. « Soit, je peux me libérer un jour par mois. Pour l’instant… »

Son intonation s’était ralentie sur les deux derniers mots. Elle prit un air ostensiblement mystérieux, agitant, comme s’en y prendre garde, son annulaire gauche. Les gravures du camée d’émeraude se creusaient sous l’effet de la flamme tremblotante de la lampe.

Rhett fit mine de ne pas comprendre son allusion à son futur statut de femme mariée.

Sa cruelle Scarlett, s’amusant à lui lancer des petits signes provocateurs, telle une chatte lançant par soubresauts le moineau qu’elle s’apprête à achever…

Il se racla la gorge : « Pour finir de boucler notre programme de financement, le gouvernement fédéral a accepté de contribuer généreusement aux coûts faramineux de l’assurance des trésors prêtés par Le Louvre. C’est pourquoi notre présence à Washington, mercredi prochain, est impérative. »

Scarlett commença à s’énerver : « C’est de la folie ! Ne pouviez-vous pas m’en informer avant ? Il faut que je prenne des dispositions pour mon magasin, les enfants… »

« Vous avez reconnu que votre première vendeuse s’est montrée parfaitement capable de gérer avec profit votre commerce. Quant à Ella et Wade qui seront en vacances, ils vont être choyés par Dilcey, Prissy et Pork. C’est un court séjour, Scarlett. Vous serez revenue avant qu’ils n’aient eu le temps de s’ennuyer. Nous prendrons le train lundi soir, passerons la nuit du mardi dans le meilleur hôtel de Washington, et quitterons la capitale dès la fin de nos entretiens. Le voyage sera fatiguant, mais nous pourrons nous reposer dans nos compartiments couchettes. Cette brève excursion dans cette ville de pouvoir va nous revigorer, vous et moi, j’en suis certain. Je m’en délecte déjà… »

Ses yeux frisaient à cette seule évocation.

Un soupir bruyant fut la seule réponse de la jeune femme. Il avait gagné… cette partie.

Il continua de tenter la chance : «Nous aurons le temps de discuter des détails pratiques de notre voyage demain.  Si vous n’y êtes pas opposée, je compte bien accompagner Wade et Ella à la parade. Nous allons vivre un jour exceptionnel. Et puis, vous m’avez lancé un défi : je pourrai avec vous, au cours du barbecue, compter le nombre d’ombrelles sorties tout droit de la Boutique Robillard ! »

De guerre lasse, Scarlett s’approcha de la desserte, remplit deux verres, l’un de brandy, l’autre de whisky. Elle avait vraiment besoin de calmer ses nerfs.

Dissimulant la satisfaction du gagnant, il humecta ses lèvres charnues sur le verre, et formula un voeu secret : A la fête demain, et à Washington pendant deux jours… Ensemble… Tous les deux ensemble… 

Auteur : Arlette Dambron.

*******

Note sur le chapitre 39 :

(*1) : Le Metropolitan Museum of Art de New York a ouvert officiellement ses portes en 1870.

 

 

  

 

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