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Read on line, follow the updates of my historic novel The Boutique Robillard, fandom of Gone with the Wind (in English, click on top)

 

 

 

Lisez en ligne mon roman historique, dans l'Amérique de 1876 : La Boutique Robillard, ma suite d'Autant en Emporte le Vent (en français)

Publié par Arlette Dambron

Le même jour, 21 février 1876, 16 heures, 9 East Battery, Charleston, chez les Butler

 

L’après-midi avait été studieuse.

Les dossiers s’amoncelaient sur son bureau, formant deux piles. La plus fine concernait les propositions retenues. L’autre, beaucoup plus importante, correspondait aux nombreux projets envisageables. L’échéancier avançait très lentement, il devait bien le reconnaître.

Satisfait d’avoir au moins résolu deux cas cet après-midi, Rhett se servit un verre, alluma un cigare et se cala confortablement contre le dossier de son fauteuil.

Un flash lumineux attira son attention vers une petite boîte posée au pied de la prêtresse Karomama. Le rayon de soleil frottait par intermittence les parois du petit coffre en bronze doré, le transformant en coulée d’or. Puis l’objet disparaissait, absorbé par l’ombre, pour scintiller à nouveau l’instant d’après.

Dans la langueur de fin d’après-midi, Rhett le marin s’imagina en mer, guidé par le signal d’un phare au loin lui signalant que le havre était proche.

Il obtempéra à ce message codé et se saisit de l’écrin. Une minuscule clef ouvrit le couvercle.

L’intérieur était garni de velours pourpre.

Ch18. 21 février, 16h, 9 East Battery - Rhett et l'enveloppe, ma suite d'Autant en Emporte le Vent

Là reposaient le bracelet et la bague, trésors retrouvés de l’Ancienne Egypte. (*1)

Machinalement, Rhett suivit les courbes des lions cloisonnés ornant le bracelet.

Puis il se saisit de la bague.

 

Bague que Rhett Butler a acheté pour Scarlett O'Hara, dans ma fiction - La bague au scarabée d'Ancienne Egypte, Basse Époque, -664 - -332. source : Département des Collections égyptiennes, musée du Louvre source collection louvre 53355

Bague que Rhett Butler a acheté pour Scarlett O'Hara, dans ma fiction - La bague au scarabée d'Ancienne Egypte, Basse Époque, -664 - -332. source : Département des Collections égyptiennes, musée du Louvre source collection louvre 53355

 

Quand le marchand Froehner lui avait présenté l’anneau au scarabée, il lui expliqua le symbolisme fort de cet insecte dans l’Antiquité, lié au dieu Khépri. Il garantissait, dans tous les moments de la vie, la fertilité, la chance et la protection. La croyance bénéfique en ses pouvoirs était tellement enracinée dans la civilisation égyptienne qu’il était de tradition de déposer sur le corps de la momie un scarabée, afin de lui apporter l’éternité.

Rhett pensa qu’offrir à Scarlett les symboles de protection et d’immortalité était adapté à ce qu’il voulait lui témoigner. La sécurité, il lui garantirait à nouveau sans hésitation. La fertilité – il fit une grimace en y pensant – il n’était pas certain qu’il aurait le courage d’aborder ce sujet – Quant à l’immortalité, il avait bien compris que son amour pour elle était ridiculement et fatalement éternel.

Depuis son retour à Charleston, combien de fois Rhett s’était-il imaginé encercler le fin poignet de Scarlett avec le large carcan d’or ! Puis, il se noierait dans ses yeux verts et lui prendrait la main gauche pour glisser à l’annulaire l’antique bague en jaspe.

Ce même doigt où elle avait fièrement porté son impressionnante bague de fiançailles, et son alliance avant qu’il ne la lui dénie. Sur lequel, un jour peut-être, si elle acceptait sa demande, elle afficherait le symbole de leur nouvelle union.

Bague de fiançailles offerte par Rhett Butler à Scarlett O'Hara

Bague de fiançailles offerte par Rhett Butler à Scarlett O'Hara

 

Comme il regrettait ce divorce dont il lui avait arraché le consentement jusqu’à la menacer de la priver de ses enfants en cas de refus ! Son propre comportement l’écœurait.  

Bien sûr, s’il n’avait pas opté pour cette décision radicale, ils auraient continué à vivre ensemble dans une indifférence polie à Peachtree Street, ce qui lui avait paru insupportable à l’époque. Il s’avouait sans honte qu’il s’en contenterait aujourd’hui s’il pouvait respirer le même air qu’elle et sentir sa présence à côté de lui, car il avait enfin accepté la pérennité de son attachement à sa femme.

C’était décidé. Il irait à Atlanta.

Il allait braver la peur d’être rejeté et de voir Ashley installé dans sa maison. Soudainement, le pessimisme qui l’accablait il y a quelques heures laissa place à un espoir auquel il allait se raccrocher. Il s’excuserait auprès de Scarlett, lui demanderait pardon de les avoir abandonnés, elle et les enfants. Il la supplierait de lui donner une seconde chance, même si sa fierté devait en souffrir.

Bon sang ! Il était le roi du poker. Il allait tout parier sur la conviction qu’il pourrait vraiment gagner son amour. Et si Ashley se mettait en travers de son chemin, il relancerait la mise pour lui faire comprendre qu’il n’était pas de taille à le combattre. Pour finalement emporter la partie.

Ensuite, il offrirait à celle qu’il aimait depuis quinze ans le bracelet aux fauves et la bague vieille de plus de mille-cinq-cent ans.

Machinalement, il caressa les ailes du scarabée porte-bonheur. « Je deviens vraiment superstitieux ! » se moqua-t-il.

ooooOOoooo

En bas, quelqu’un venait de frapper le heurtoir de la porte d’entrée. Il entendit des bruits puis les pas du majordome grimper dans l’escalier jusqu’à son bureau.  

« Qui y a-t-il Michael ? »

« Monsieur Rhett, on a déposé un pli pour vous. »

Rhett reconnut la papeterie jaunie, caractéristique de celle de son notaire. Que lui voulait-il ? Il s’était entretenu avec lui la semaine dernière au sujet de la cession de certaines actions dans des parts de société.

Il décacheta l’enveloppe et déplia le document. Le papier à en-tête était bien celui de Stevens Lawyers Ltd.

Un mauvais pressentiment l’envahit. Il secoua la tête pour chasser cette impression désagréable, et se mit à lire.

oooo

« Charleston, 20 février 1876

Cher Monsieur,

Par la présente, j’ai l’honneur de vous informer avoir réceptionné, ce 19 février, une lettre de Maître Henry Hamilton, notaire de Madame Scarlett O’Hara, ancienne épouse Butler.»

A ce moment précis, le cœur de Rhett s’emballa. Pendant un moment, il regarda dans le vide, incapable de lire la suite de la missive. 

Qu’est-ce que cela signifiait ? La dernière correspondance la concernant avait été celle de Stevens Lawyers à l’oncle de Scarlett, officialisant l’acte de divorce. Depuis, il n’avait lu la mention « Scarlett O’Hara » que sur le récapitulatif des débits bancaires affectant les sommes qu’il lui allouait mensuellement.

Un nœud se forma dans sa gorge. Il reprit sa lecture.

« Dans sa lettre, Maître Hamilton nous notifie la décision de sa cliente de renoncer officiellement aux obligations financières auxquelles vous vous étiez engagé envers elle, conformément à l’accord de divorce signé par les deux parties en date du  15 novembre 1873, et avalisé par le certificat de divorce de la Cour de Justice de Caroline du Sud (*2) en date du 10 décembre 1873 ; ce-dit contrat vous obligeant pendant un délai de cinq ans à compter de la date du divorce jusqu’au 9 décembre 1878 inclus.

D’autre part, il a joint à son pli l’attestation bancaire d’un ordre de virement effectué par Madame O’Hara crédité sur votre compte privé. Cette opération correspond au montant total de la pension alimentaire versée à l’ancienne épouse Butler depuis décembre 1873 jusqu’à ce mois de février 1876 inclus.

Ce remboursement ne concerne pas les gratifications dont vous avez fait bénéficier vos deux beaux-enfants, Wade Hampton Hamilton et Ella Lorena Kennedy, depuis la date du divorce jusqu’à ce mois de février.

J’attends vos instructions pour éventuellement transférer les fonds reçus sur un compte professionnel.

Nous constatons avec plaisir que la renonciation de Madame O’Hara anciennement Butler va vous permettre, si cela est votre volonté, d’affecter ces sommes importantes à des opérations spéculatives gratifiantes.

En conclusion, cette nouvelle information met fin de fait, ce jour, à mon mandat de liquidateur du divorce Butler / O’Hara. Nous allons pouvoir refermer définitivement le dossier « Scarlett O’Hara ».

Veuillez recevoir, Cher Monsieur, l’expression de mes sentiments dévoués.

Robert Stevens. Stevens Lawyers Ltd, Charleston. »

oooo

Les genoux de Rhett ne le portaient plus, tant son corps se mit à trembler. Il s’écroula dans le fauteuil, et attrapa la bouteille de whisky entamée le jour-même pour se servir un verre à ras bord.

Ch18. 21 février, 16h, 9 East Battery - Rhett et l'enveloppe, ma suite d'Autant en Emporte le Vent
Ch18. 21 février, 16h, 9 East Battery - Rhett et l'enveloppe, ma suite d'Autant en Emporte le Vent
Désespéré, Rhett Butler noie son chagrin dans l'alcool.

Désespéré, Rhett Butler noie son chagrin dans l'alcool.

 

« Refermer le dossier « Scarlett O’Hara »…Mais je ne le veux pas ! tonna-t-il violemment à l’intérieur de son bureau feutré.

Ses doigts se posèrent sur l’enveloppe. Il y avait autre chose à l’intérieur. Il en sortit un petit pli cacheté.

Son cœur s’emballa. Il venait de reconnaître la papeterie couleur mauve pâle que Scarlett utilisait pour sa correspondance privée. Au dos était écrit : « A l’attention de Monsieur Rhett Butler ».

Il prit l’ouvre-lettres pour décoller délicatement le rabat, retardant le moment où il prendrait connaissance du texte.

Instinctivement, il porta la feuille de papier à ses narines pour essayer de sentir le parfum de l’expéditrice. Son ventre se contracta. Elle avait effectivement déposé une goutte d’essence de gardénia en bas de la page, comme il l’avait vu faire lorsqu’elle écrivait à sa petite sœur Carreen en signe d’affection - Ses lettres adressées à Suellen ou à ses tantes ne bénéficiaient pas du même traitement.

En pleine tourmente, il se raccrocha à un fol espoir. Cette attention devait signifier quelque chose, un signal qu’elle lui envoyait, n’est-ce pas ?  

Il déplia la missive et reconnut sa calligraphie, combinant boucles élégantes et fins de phrases s’achevant brutalement par un bref trait rectiligne, marque de sa détermination.  

Il aspira fort et commença à lire.

ooo

« Atlanta, le 17 février 1876

Rhett,

Mon notaire va vous notifier ma décision de ne plus accepter dorénavant la pension alimentaire que vous me versiez depuis notre divorce.

J’ai remboursé sur votre compte le montant des vingt-sept mensualités depuis décembre 1873.

D’autre part, en ce qui concerne Wade et Ella, les fonds que vous leur aviez alloués pour leur éducation ont été placés sur leurs comptes d’épargne.

Je vous remercie sincèrement d’avoir, un temps, contribué à l’entretien d’enfants qui n’étaient pas les vôtres, mais je ne souhaite plus désormais que vous subveniez, de quelque manière que ce soit, aux besoins de notre famille.

Je vous libère ainsi de vos derniers engagements qui vous astreignaient à rester en relation avec la famille O’Hara Hamilton Kennedy.

J’espère que vous avez trouvé à Charleston le charme et la grâce qui vous manquaient avec moi.

Scarlett. »

ooo

La vue de Rhett se troubla. Ses yeux embués se fixèrent une nouvelle fois sur la signature en bas de la page.

Signature de Scarlett O'Hara

Signature de Scarlett O'Hara

 

D’un doigt tremblant, il suivit la courbe élégante de la lettre capitale « S ». Elle partait de haut, comme leurs bras tendus joints avant de danser leur première valse au Gala de Charité des Confédérés. Puis elle s’élançait pour partir dans l’autre sens. Un autre pas de danse s’enchaînait avec la lettre « c » reliée au « a », telle sa main entourant la taille de Scarlett. Ensuite le « r » exécutait une figure compliquée, jusqu’à ce que la boucle du « l » fasse mine de soulever la légère jeune veuve dans les airs, puis qu’il la stabilise d’un « e » minuscule. Le doigt de Rhett atteignit les deux diagonales du « t », qui bondirent en l’air tels une arabesque, la traverse commune les soudant l’un à l’autre, marquant l’apogée de leur première danse. Jusqu’à ce que leurs corps s’immobilisent précisément sur la queue horizontale du dernier « t », suivie du point final. Cette ponctuation marquant brutalement la fin de la danse, la fin de leur histoire.

Rhett fit un effort pour sortir de son hébétude.

Sa langue était sèche. Il souleva la bouteille de whisky. Sa main tremblait tellement maintenant que son doigt ripa lorsqu’il voulut verser l’alcool dans le verre. Le liquide se répandit sur le papier mauve, envahissant petit à petit la surface, léchant l’encre, la diluant jusqu’à l’absorber totalement.

L’élégante écriture de Scarlett O’Hara avait disparu, comme par magie. Plus de danse calligraphiée, plus de parfum de gardénia. Plus rien. Qu’un vide immense et une totale incompréhension.

 «Pourquoi faites-vous ça, Scarlett ? M’enlever le seul plaisir qui me restait de m’occuper de Wade et Ella, que j’ai toujours considérés comme mes enfants, et m’empêcher de continuer à vous entretenir ! »

Il ricana amèrement et continua de parler tout haut à l’absente qui lui déchirait le cœur.

« L’argent a toujours motivé votre vie. C’est pour ma fortune que vous avez accepté de m’épouser. Vous me la lancez au visage aujourd’hui. Je ne comprends pas. Pourquoi maintenant ?  Avez-vous rencontré un autre homme riche qui va pouvoir contribuer à votre train de vie ? Un autre mariage d’argent ? Ou est-ce pour vous venger de moi ? »

Il hocha la tête. « Oui ! C’est pour me faire mal. Vous avez raison. J’ai été ignoble avec vous. J’ai pris le parti de la Vieille Garde afin d’assurer ma rédemption, contre la vôtre. Je vous ai trompée au vu et au su du tout Atlanta. Je vous ai même forcée physiquement… » Il s’arrêta, accablé par ce constat.

« Alors, vous avez décidé de faire table rase et couper le dernier lien qui nous unissait. Comme vous devez me détester pour rejeter mon argent, préférant éradiquer ce qui fut « nous », et faire comme si je n’avais jamais fait partie de votre vie ! Et notre Bonnie, vous l’avez rayée elle aussi de vos souvenirs, alors ? » 

Avec ce qui lui restait de raison, il savait qu’il était injuste, car la mort de leur petite fille avait anéantie sa mère.

Mais il avait tellement mal ! Et dire qu’il y a moins d’une heure de cela il s’imaginait avoir assez de puissance pour regagner son amour, en rêvant même de demander sa main une seconde fois ! Quelle ironie !

Le monde venait de s’écrouler autour de lui.

C’est vraiment fini alors ? Il n’y a plus rien à quoi me rattacher. A quoi bon lutter pour réaliser mon fameux grand projet ! Cela n’avait de sens que pour la rendre fière de mon action.  

Il vida les dernières gouttes de la bouteille. En attendant l’étape salvatrice où son ivresse allait se transformer en engourdissement des sens, où sa capacité de raisonnement serait anesthésiée, et où il ne ressentirait plus rien. 

Un trop-plein d’émotions le submergea, un désespoir si violent qui lui fit tordre l’estomac.

Elle m’a radié de sa vie et de celles de Wade et d’Ella. Il ne me reste plus rien. A quoi bon continuer de vivre si je n’ai plus d’espoir ?

Une impulsion furtive le saisit.

Il ouvrit le premier tiroir de droite, fouilla au fond et trouva la gaine en tissu. Il sortit l’arme et la regarda. Elle était régulièrement entretenue. La crosse en argent était gravée. Sa patine était douce au toucher. Elle avait servi – plusieurs fois.

Ce serait si simple. Il suffirait d’un coup.

Il en avait le courage. Qu’avait-il à perdre ? Est-ce qu’elle le pleurerait, même un peu ? Il en doutait fort.

Puis il se reprit. Il y avait sa mère qu’il avait déjà tant fait souffrir, et sa sœur. Elles l’aimaient toutes les deux. Il ne pouvait pas les laisser seules. Bien sûr, elles hériteraient de son argent, mais elles seraient plongées dans la tristesse. Non ! Il ne pouvait pas leur faire ça. Il fallait qu’il continue à vivre. A survivre.

Il eut envie d’aller au Haven. Pas pour une partie de poker festive, mais pour discuter avec Pierre de Boulogne. Son seul véritable ami à Charleston qui avait toujours pour lui une oreille attentive. Le Français avait compris en quelques mots la douleur sous-jacente qui se cachait derrière son divorce.

Ensuite, il chercherait l’oubli, comme d’habitude. Mais même Rosetta ne pouvait plus le soulager pour une heure du manque de Scarlett. La magie de la substitution ne fonctionnait plus.

Il remit l’arme dans son étui et la glissa à sa place, au fond du tiroir. Jusqu’à la prochaine fois où il en aurait besoin.

ooo

Rhett regarda l’heure. Il était trop tôt pour se rendre au Gentlemen’s Club. Il alluma un cigare et observa le cheminement des volutes de fumée.

Comment continuer, alors qu’il savait que, jusqu’à son dernier souffle, le manque des deux personnes qu’il chérissait le plus au monde ne s’apaiserait pas ?

Ce qui le terrorisait était la certitude qu’au fil du temps la sensation de pouvoir les imaginer à ses côtés allait inexorablement s’estomper.  

Combien de temps encore allait-il se figurer ressentir la chaleur des doigts potelés de Bonnie enserrant son cou pour lui intimer l’ordre de se plier à un de ses caprices ou pour dévorer sa joue de baisers ?

Jusqu’à quand son odorat serait en mesure de reconstituer l’odeur de la peau de sa femme ? Car contre toute logique, il s’entêtait à continuer à parler d’elle comme « sienne». Dans l’absolu, elle le resterait à jamais. Quelle dérision, puisqu’elle ne portait plus ce titre à cause de lui !

Il ressentit une peur panique que ses sens lui fassent défaut et annihilent la moindre sensation d’elle qu’il gardait précieusement.

Il craignait que son ouïe n’arrivât plus à mémoriser l’empreinte vocale si changeante de Scarlett. Les images, il arriverait toujours à les reconstituer en y pensant très fort. Mais la voix ! Si sensible aux moindres fluctuations d’émotions comme un violon, si fugace…

Pendant longtemps, il s’était amusé à la mettre hors d’elle pour le plaisir de l’entendre jurer et monter dans les aigus jusqu’à ce que son tempérament de feu n’explose.

Le son implacable et froid de ses paroles tranchantes comme des dagues lorsqu’elle voulait lui faire mal était le seul à ne pas lui manquer.

Ses intonations mélodieuses et légères réservées aux hommes qu’elle voulait charmer lui ravissaient toujours autant l’oreille, comme au premier jour du barbecue.

 Il préférait oublier son timbre rauque et tendre, qu’il avait épié avec envie, mais qui n’était exclusivement réservé qu’à son chevalier blond à la brillante armure.

Il chérissait le souvenir des sonorités douces, presque chuchotées dans l’intimité de leur lit, pendant la première année de mariage.

Plus que tout, il aurait voulu enfermer dans un précieux écrin ce moment magique où ses cordes vocales s’enflammèrent par la passion, transformant son cri en une lancinante supplique, son propre prénom – « Rhett ! » imploré jusqu’à l’extase, pendant leur dernière nuit. 

Frustré, il n’arrivait déjà plus à reconstituer son rire dans sa mémoire. Cela faisait très longtemps qu’il ne l’avait plus entendue s’esclaffer naturellement. Depuis des années avant leur divorce, d’ailleurs. Probablement aux temps heureux de leur première année de vie commune.

Comme son rire de gorge lui manquait ! Tout lui manquait… Il avait besoin d’elle à en crever.

Rhett avait soif. Très soif. Il fallait qu’il sente la brûlure de l’alcool avalé en lampées entre son palais et la langue.

A cet instant, il n’était plus question de jouer à l’œnophile et sacrifier aux rites de la dégustation :  admirer la robe de l’alcool millésimé sous la lumière de la lampe, apprécier sa viscosité en le faisant tourner dans le verre, plonger le nez afin d’en humer les arômes, faire tourner sous la langue une gorgée pour en apprécier la longueur en bouche, et savourer.

Non ! En cette fin de journée, il n’était plus qu’un ivrogne en manque de son exutoire. La bouteille de whisky débouchée ce matin était vide.

Il se leva pour en chercher une autre et constata qu’il avait manifestement outrepassé son degré de tolérance normal à l’alcool. Il dût se tenir à une chaise pour ne pas tituber jusqu’à arriver au guéridon placé à côté de la porte-fenêtre menant sur la piazza, qui était largement ouverte.  

Il agrippa la nouvelle bouteille comme une bouée de sauvetage. La perspective de la prochaine gorgée le faisait saliver.

C’est à cet instant précis qu’il perçut une voix féminine.

Elle émanait de la cour des Vayton. Il s’apprêtait à s’éloigner lorsqu’une cascade de rires se déversa dans l’air.

Reconnaissable entre toutes !

Le cœur de Rhett fit un bond, sembla s’arrêter puis s’emballa follement. Il se précipita sur le porche.

Les rires perlés se répercutèrent contre la façade nue de la maison Vayton. La paroi réfléchissante du mur en brique amplifia l’écho. Les arbres bordant la cour servirent de réflecteur pour propager les ondes joyeuses et les faire voyager jusqu’à la maison des Butler.  

De choc, il mordilla tellement son cigare qu’il en arracha le bout. Il écrasa nerveusement le reste sur le sol.

C’était cet envoûtant roucoulement de gorge qui lui avait tellement manqué depuis des années !

Ce chant amplifié par la résonnance de l’écho pénétra à l’intérieur de ses pores. Rhett ne pouvait plus maîtriser les tremblements qui agitaient son corps.   

« Scarlett ! » Son prénom murmuré sortit du plus profond de ses entrailles.

Ses mains agrippèrent si fortement la balustrade que leurs jointures semblaient transparentes.

Pendant un instant, il essaya de se raisonner et se dit qu’il avait trop abusé de l’alcool.

Il osa baisser les yeux en direction de la cour de son voisin.

Piazza de Rhett Butler, 9 East Battery, donnant sur la cour de la Magnolias' Manson de Duncan au 5 East Battery - En réalité la Robert William Roper House, au N°9, à côté de la Palmer House, au N°5, Charleston, Caroline du Sud - source

Piazza de Rhett Butler, 9 East Battery, donnant sur la cour de la Magnolias' Manson de Duncan au 5 East Battery - En réalité la Robert William Roper House, au N°9, à côté de la Palmer House, au N°5, Charleston, Caroline du Sud - source

 

A quinze mètres en-dessous de lui, deux silhouettes se tenaient près d’un buggy. Celle de son voisin et celle d’une femme enveloppée dans un manteau. Elle lui tournait le dos.

Du premier étage d’où il les observait, il distingua parfaitement une capeline bordée de soie verte.

Mes hallucinations reprennent ! Je la vois partout, comme d’habitude. Ce n’est pas possible que ce soit elle, là, tout près, dans la cour du voisin !

Pendant quelques secondes, il réussit à se persuader que ses visions le leurraient.

Et pourtant… Il aurait pu le jurer : ce chapeau était identique à celui qu’il avait mis tant de soin à trouver pour elle à Paris, au temps où il forçait le blocus.

Scarlett O'Hara essayant le chapeau que Rhett Butler lui a ramené de Paris

Scarlett O'Hara essayant le chapeau que Rhett Butler lui a ramené de Paris

 

L’évidence s’imposa. Contre toute raison. Scarlett était devant lui, en chair et en os, portant sur la tête son chapeau alors même qu’elle venait de lui signifier son rejet de tout ce qui venait de lui.

Ses sens, perturbés par son état d’ébriété avancé, se révoltèrent. Malgré tout, il se concentra pour que son ouïe détecte le dialogue échangé dans la cour mitoyenne.

Elle se tourna dans sa direction pour monter dans le buggy. Et c’est là qu’il la vit. Elle se trouvait trop loin pour qu’il distinguât ses yeux. C’était bien elle, la forme de son visage, ses joues qui s’arrondissaient sous l’effet du large sourire qu’elle adressait à Vayton.

Rhett ne comprenait plus rien. Par sa lettre, Scarlett venait de le congédier de sa vie.  Simultanément, voilà qu’elle réapparaissait déjà dans la maison d’à côté ! Plus vivante que jamais, plus belle que jamais.

« Je deviens fou ! » Il se révolta contre l’impossibilité que ce soit sa femme, là, si proche ; contre la certitude que ce soit elle, et qu’il ne pouvait pas la toucher.

Elle accepta la main que lui offrait l’homme pour l’aider à monter dans la voiture. Il se pencha pour l’embrasser.

Rhett eut l’impression de vaciller. Tout tournait autour de lui.

A ce moment-là, il entendit distinctement son voisin lui dire : « Scarlett !». Puis le reste de la phrase se perdit dans l’air.

C’est là que son rire jaillit. Un rire léger disparu depuis des siècles. Les ondes joyeuses montèrent jusqu’à la piazza, traversèrent sa peau, envahirent ses veines.

C’était intolérable. Un cri primal déchira ses poumons. « Non ! »

Il chancela.

La bouteille pleine tomba de ses mains et se fractura en mille morceaux sur le porche.

Le cri et le bruit firent réagir les deux silhouettes. Scarlett se tourna de son côté, mais elle ne leva pas la tête. Elle ne vit que le porche vide du rez-de-chaussée.

Vayton, lui, détecta l’origine du bruit. Il aperçut un Capitaine Butler hirsute qui les regardait, la mine effarée.

Indifférent, il se détourna, aida Scarlett à monter en la prenant presque dans ses bras, se pencha vers elle pour lui dire quelque chose.

Elle lui répondit en riant.

Il monta de l’autre côté de la voiture, prit les rennes du cheval, et le buggy sortit de la cour.

ooo

L’écho avait emprisonné l’explosion de joie de Scarlett. Il tournoya un instant après son départ, venant narguer la maison des Butler.

Les rires continuèrent à raisonner dans sa tête. Comme il aurait voulu capturer ces perles de bonheur pour que leurs empreintes s’impriment dans son sang...

Il baissa la tête et s’aperçut qu’il était entouré de bris de verre. La bouteille, en se fracturant, avait fait gicler le liquide sur le bas de ses pantalons.

Se rendant compte de son piteux état, il se força à retrouver la raison.

Ça ne peut être qu’une hallucination due au whisky.

Tant bien que mal, il rentra dans son bureau et s’allongea sur son canapé.

Demain il se dirait qu’il avait rêvé, qu’il ne l’avait pas vue, qu’il ne l’avait pas entendue. Demain…

Mais, pour ce soir, il se contenterait de ce mirage. Au moins pour cette nuit. Pour que son besoin d’elle se repaisse de cette image, et de ce rire.

Il ferma fort les yeux et se convainquit qu’elle était encore là, si près qu’il pouvait caresser son corps.

ooooOOoooo

Auteur : Arlette Dambron

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ooooOOoooo

 

Notes sur le chapitre 18 :

(*1) Joyaux de l’Ancienne Egypte : Bracelet, musée du Louvre source collections louvre 53355 - cl010009286 - https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010009286

Bague, musée du Louvre source collection louvre 53355 - cl010011020 - https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010011020#

(*2) Au contraire des détails historiques référencés dans mon roman,, les modalités du divorce entre Rhett et Scarlett sont purement fictives (délais, divorce autorisé, etc…).

 

ooooOOoooo


Commentaires des lecteurs sur mon roman "The Boutique Robillard" sur fanfiction.net et archiveonourown.org - Chapitre 18 :

Sul. 27 mai 2021 : Quel méchant cliffhanger ! Mais Duncan est tombé amoureux d'elle, à la folie, c'est clair maintenant...

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Gwg. Chapitre 18 26 mai : Hell no ! Pas du tout. C'est des conneries.
Rhett a assez souffert. Il mérite mieux et il l'a finalement réalisé et s'est défendu. Pas moyen qu'il veuille la récupérer. Jamais. Laisse-le tranquille.
Scarlett est une salope sociopathe et abusive et elle le sera toujours.
Elle a récolté ce qu'elle a semé. Qu’elle soit baisée pour l'éternité. Elle sera seule, mal aimée et laide, tout comme son âme. Comme elle devrait l'être. Bye.
MissTricey réponse sur chapitre 18 : je suis perturbée par le niveau d’hostilité du précédent commentaire.
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Ali. chapitre 18 . 26 mai : Que Duncan cherche la fille !

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Mis. chapitre 18 . 24 mai : J'ai lu une fois de plus le passionnant chapitre 18. J'admire votre capacité à transmettre un frisson dans mon corps à la réaction de Rett,  également à l'odeur du parfum de gardénia dans l'enveloppe de la lettre de Scarlett. Rhett a traité le parfum comme un signe que Scarlett lui envoyait. Je pense définitivement que Rhett. est toujours fort dans le coeur de Scarlett malgré son excitation à propos de la cour que lui fait Duncan.
Scarlett aime les défis et Duncan n'est plus un défi pour elle. Elle se sent bien qu'il ait été captivé. Cela diminuerait son charme à ses yeux.
Le cri de Rett vient du plus profond de son cœur, il est brisé maintenant, mais lui, comme Scarlett, est motivé quand il fait face à des défis difficiles et il va se lancer dans une bataille féroce pour récupérer Scarlett. Une guerre difficile l'attend. Je suis de tout cœur avec lui. Je lui souhaite de réussir. Je l'aime avec Scarlett malgré tout.
Merci de votre investissement dans cette histoire passionnante. Au plaisir de vous entendre à nouveau

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Invité chapitre 18 . 24 mai : J'ai adoré ! J'ai hâte de lire le prochain chapitre !

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Invité chapitre 18 . 24 mai : Je crois que j'ai failli me pisser dessus quand Rhett l'a vue. Ça va être passionnant, j'espère que Rhett va laisser tomber sa fierté maintenant.

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Invité chapitre 18 . 24 mai : Aww, super chapitre ! Je me demandais quand Rhett serait informé de la nouvelle décision financière de Scarlett. Je ne suis pas trop surpris qu'il ait fini par boire beaucoup.
Je me demande ce que Duncan a pensé quand il a vu Rhett ? J'ai hâte de lire le prochain chapitre

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Tru. chapitre 18 . 24 mai : Depuis que Rhett a divorcé, Scarlett a avancé dans sa vie. Affichant qu'après vingt-sept mois, elle a créé son propre patrimoine financier suffisant non seulement pour cesser ses paiements, mais aussi pour rembourser intégralement la pension alimentaire. C'est impressionnant !
Pendant ce temps, il détruit imprudemment sa santé et c'est une honte.

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Ae . chapitre 18 . 24 mai : J'ai des groseilles à maquereau et des groseilles à grappes. Ils sont tous deux sensibles aux infestations de larves de mouches à scie. J'ai passé la journée d'hier à utiliser des pinces pour arracher les larves de mes plantes. En guise de récompense, et cette activité méritait bien une récompense, je suis venue lire votre histoire et, ô surprise, une partie de celle-ci portait sur les larves, mais d'un autre insecte. Il est étonnant de voir la taille des larves de ce qui s'avère être un insecte assez petit. Cette scène avec lui pensant qu'il avait imaginé Scarlett était incroyable. Je me sens presque désolée pour Rhett. Presque.

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Invité chapitre 18 . 24 mai : Un chapitre incroyable. Merci beaucoup pour tout votre travail, je suis impressionné par la façon dont vous produisez des chapitres si parfaits si rapidement.
Je pensais que Rhett était parti en voyage pour se ressaisir, mais au premier obstacle, il retombe dans la dépression et l'alcool. De la même manière qu'il ne peut pas retomber amoureux d'une Scarlett qui n'est plus que l'ombre d'elle-même, elle ne peut pas supporter un Rhett déprimé et imprévisible. Ils doivent tous les deux avoir de la vitalité et du ressort dans leur démarche. Rhett doit se ressaisir rapidement et s'abstenir d’aller voir des prostituées et de boire. Il a déjà donné à Duncan assez de munitions pour le décrédibiliser quand l'occasion se présentera. Je ne pense pas que Duncan soit particulièrement vindicatif, mais il va essayer de faire voir à Scarlett tous les défauts de Rhett. Nous savons tous que Scarlett est têtue, ce sera peut-être la grâce salvatrice de Rhett.
Au fait, si je devais payer pour lire ceci, je le ferais volontiers !

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Invité chapitre 18 . 23 mai : C'était absolument génial ! J'adore et je pense que c'est le meilleur chapitre de cette histoire (pour l'instant). J'attendrai votre mise à jour (merci de la donner chaque semaine !) J'espère que les prochains chapitres comprendront aussi des sentiments aussi profonds !

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Mis. chapitre 18 . 23 mai : Vous êtes un écrivain merveilleux et très passionnant. C'est exactement comme ça que j'imaginais Rhett lorsqu'il renoue avec ses sentiments. C'est un homme très sexy avec un grand pouvoir mais qui a peur d'exprimer ses sentiments pour ne pas être blessé.
Je l'imagine le lendemain matin, demandant à accompagner sa mère chez ses amies, les tantes de Scarlett, maison qu'il rate quelques minutes après son départ pour Atlanta et il est dans le train après elle.
L'homme est fou de peur de la perdre. Je me demande ce qui va se passer à Atlanta.
J'attends avec impatience le prochain épisode. Vous faites ma journée - Merci

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Vent. chapitre 18 . 23 mai : Une partie de moi pense : pauvre Rhett. Un autre qu'il le mérite

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 Sta. chapitre 18 . 23 mai : J’ai apprécié

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Moo. chapitre 18 . 23 mai : J'adore la gifle de Scarlett à Rhett. Tout ce qu'elle a fait disait "Je n'ai pas besoin de toi". Cette lettre était parfaite. Je les aime, elle et Duncan, ensemble. Je me demande ce qu'il a dit pour la faire rire, cependant ?

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Tru. chapitre 18 . 23 mai : Duncan est éperdument amoureux de Scarlett. Je me demande quand il apprendra qu'elle est divorcée et comment il réagira.

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Fai. chapter 18 . May 23 2021 : Allo, l'asile? Je crois qu'on a perdu Rhett Butler!
Bon, je ne suis pas tout à fait sûre de la date exacte, mais il me semble que Graham Bell (et l'un de ses concurrents) a présenté son brevet pile la période dont tu parles. Bien que je doute que ses voisins en auraient eu accès pour l'occasion.
Eh bien, les grands sont tombés bien bas! Rhett qui était si fier de ne rien montrer de ses sentiments, maintenant crie en pleine rue. Et comment il passe aussi facilement d'espoir à désespoir! Il ne pensait pas que ça allait être facile, quand même, et qu'elle allait continuer à percevoir son argent comme ça?
Duncan va certainement avoir déjà quelques soupçons.

ooooOOoooo

 

Relisez le chapitre 1 de The Boutique Robillard, Le Divorce

Suite d'Autant en Emporte le Vent, Rhett Butler divorce.
Chapitre 1 de La Boutique Robillard, Le Divorce

 

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