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Read on line, follow the updates of my historic novel The Boutique Robillard, fandom of Gone with the Wind (in English, click on top)

 

 

 

Lisez en ligne mon roman historique, dans l'Amérique de 1876 : La Boutique Robillard, ma suite d'Autant en Emporte le Vent (en français)

Publié par Arlette Dambron

Scarlett O'Hara (Vivian Leigh)

Scarlett O'Hara (Vivian Leigh)

Notes :
Voici la dernière partie de la journée passée à Tara.
Vous allez découvrir un nouveau couple – une courte apparition. Leurs noms va vous surprendre et vous faire rire. J’avoue que je me suis fait plaisir en les nommant ainsi. Pendant mon adolescence, ils ont représenté pour moi l’incarnation de Scarlett et Rhett au XXe siècle. Je vous l’ai dit, un vieux fantasme, ha ha…

 

****** 

13 juin 1876, 21 heures, Tara, County de Clayton


Divine surprise ! Scarlett n’en revenait pas. Son acariâtre sœur transformée en une agréable hôtesse, aux petits soins pour ses invités, modulant sa voix lorsqu’elle s’adressait à son aînée pour cacher ses relents d’animosité… 


Aussi sournoise qu’elle l’était face à Mère lorsqu’elle voulait s’afficher plus enthousiaste que moi à prier, pour lui complaire. 


Le repas était chaleureux. Les mets étaient simples et savoureux, et les portions généreuses. La cuisinière, engagée en renfort spécialement pour l’occasion, avait délaissé les entrées onéreuses. Elle servit de la volaille, élevée dans le grand poulailler de Tara, dont la peau croustillait sous la langue. Maybelline Smith, la nouvelle amie de Suellen, réclama la recette de la farce au pâté de canard et aux champignons garnissant le cœur du poulet. Les petits pois et les pommes de terre firent honneur au potager familial. Ne restèrent bientôt plus dans les assiettes que les vestiges de la carcasse des volatiles, tant les convives s’étaient régalés.


Avec une pointe de nostalgie passagère, Scarlett se souvint des dîners joyeux animés par leur père, s’achevant souvent par l’intervention d’Ellen, lorsque les éclats de rire tonitruants de Gerald ou les chamailleries entre sœurs se faisaient trop bruyants.  


Quand le dessert arriva, les trois filles des Benteen applaudirent la tarte aux pommes engorgée de crème pâtissière. 


Scarlett ne chipota pas, et réclama une deuxième part. Elle intercepta la mine ravie de Duncan. Il apprécie mon solide appétit, comme Rhett. 


Mais, ce soir, la dégustation gastronomique était subsidiaire, au moins pour Suellen et Maybelline. Elles dévoraient littéralement des yeux la beauté sculpturale de l’ange blond, qui leur faisait l’honneur de descendre de l’olympe de la célébrité, pour converser le plus naturellement du monde avec deux provinciales dans le County de Clayton. 


Ce fut rapidement l’heure pour la progéniture de Suellen d’aller se coucher. Le thé fut servi aux dames. Scarlett maugréa secrètement contre l’absence de café. 


Will proposa avec orgueil à l’ami de sa belle-sœur un schnaps à la poire, une eau de vie blanche d’origine germanique que le maître de maison avait appris à distiller. Ils le dégustèrent à petites lampées, tant la concentration de 40% d’alcool brûlait l’œsophage. 


Les joues de Duncan, comme celle de son hôte, commencèrent à rougir. Deux pommes appétissantes qu’on aurait envie de croquer, gloussa intérieurement Scarlett. 


Elle jubilait d’assister aux minauderies de sa sœur, concurrencées, avec la même ardeur, par celles de l’invitée des Tarleton. Il est heureux que son mari ne l’ait pas accompagnée. Il n’aurait pas été ravi de voir son épouse frétiller ainsi devant un inconnu


Elle croisa le regard interloqué de Will qui était témoin, probablement pour la première fois depuis leur mariage, des efforts insistants de la fille cadette de Gerald O’Hara à charmer le genre masculin, en l’occurrence, l’invité de marque venu de Charleston. 


Son beau-frère scrutait Duncan avec curiosité. Scarlett n’avait pas de mal à comprendre pourquoi. C’était la première fois qu’elle venait à Tara accompagnée d’un homme. Il y avait de quoi se poser des questions sur leurs rapports. J’avoue que mon initiative de cette présentation officielle me surprend moi-même – présentation d’une relation professionnelle – s’empressa de préciser mentalement la propriétaire de The Boutique Robillard. 


Le sujet de toutes les curiosités satisfaisait de bonne grâce à leurs questions sur le monde de la mode. Il s’amusa à raconter des anecdotes sur les fêtes prestigieuses à Paris. Sous les yeux ébahis des trois dames présentes, il décrivit les tenues de rêve que lui et son ami et collègue, Charles Worth, le plus grand couturier du monde, avaient créées pour les têtes couronnées de la Vieille Europe, à l’occasion d’une célébration mémorable au Château de Versailles, en 1869. 


« C’était notre amie, l’Impératrice Eugénie qui en avait pris l’initiative. Un souvenir inoubliable. Même si le luxe continue à s’afficher depuis le changement de régime en France, je dois avouer que, depuis lors, je n’ai plus été témoin d’un tel apparat.»


C’est amusant. J’éprouve de la fierté, comme si son succès me concernait. Etrange que je me sente impliquée dans sa vie. La distributrice des modèles de « Vayton Ready-to-Wear » en restait perplexe.   


Il regarda Scarlett lorsqu’il les informa que, dans quelques mois, la Ville d’Atlanta proposerait une exposition sur la Haute Couture incarnée par La Mode Duncan, avec une rétrospective des créations exclusives du couturier. 


A n’en pas douter, une façon de me confirmer sa présence de plus en plus intensive autour de moi, en déduit Scarlett, ne réprimant pas un petit sourire.


L’amie de sa sœur fut aux anges à cette annonce. Scarlett était persuadée que cette dernière n’en revenait pas de la chance de fréquenter Suellen Benteen ! Par son intermède, elle avait pu toucher du doigt l’univers féerique du Prince de la Mode.


Le dîner s’achevait. Will allait raccompagner en charrette Maybelline Smith dans la propriété des Tarleton.

Avant de se quitter, elle prit rendez-vous avec la commerçante d’Atlanta pour découvrir les robes exclusives de Duncan Vayton. 


Même si elle doit s’endetter pendant une année entière, j’ai la présomption que cette future cliente ne pourra pas résister à son impulsion d’achat. Le calcul du bénéfice net de l’opération s’imprima dans l’hémisphère analytique du cerveau de Scarlett.   


A regret, Suellen comprit qu’il était l’heure de mettre fin à ces réjouissances, totalement extraordinaires dans la vie terne de l’occupante de Tara. Ses yeux peu amènes en direction de Scarlett reflétèrent à nouveau sa jalousie, amplifiée, à raison, ce soir.


Elle retrouva un visage radieux pour confirmer à son invité qu’on avait préparé sa chambre à l’étage. Même si cette accommodation était bien modeste, elle espérait que l’air revigorant de Tara lui ferait passer une bonne nuit. 


Duncan remercia abondamment Madame Benteen pour sa chaleureuse hospitalité. Scarlett lut dans ses yeux qu’il avait hâte de se retrouver, enfin, en tête à tête avec sa sœur aînée. 


« Profitons un moment de la douceur de la nuit étoilée à Tara. » Scarlett entraîna Duncan vers la porte. Ils s’apprêtaient à sortir lorsqu’une voix la fit s’immobiliser. 


Mammy guettait. Bien sûr, j’aurais dû m’en douter. La protectrice de ma vertu a repris du service… 


« Ma’am Scarlett ! Vous allez prendre froid dehors sans votre châle ! » Sans qu’il y eut la moindre objection, la fidèle nounou couvrit ses épaules avec une étole en soie qui avait été soigneusement rangée dans la commode de sa chambre.


Duncan échangea avec elle un regard amusé. « Votre nounou a raison de veiller à l’inconfort des variations de température. » Puis il adressa son sourire le plus charmeur à la vieille servante – beaucoup plus franc et expansif que ceux adressés tout le long du repas à ses deux admiratrices. «Scarlett a de la chance de vous avoir auprès d’elle, à Tara. Elle m’avait parlé de vous en termes affectueux. Je comprends maintenant pourquoi. Vous êtes une perle, Mammy ! »


Celle-ci rougit devant le compliment, et le remercia par un sourire timide. Mais elle ne se priva pas de jeter à sa préférée un regard lourd de menaces, dont l’ancienne enfant rebelle comprit le sens. Pour ne pas subir le courroux éternel de Mammy, elle devrait prendre garde à éviter tout ce qui ne serait pas convenable, ce soir… 

 

******


Ils firent quelques pas dans les allées. Puis elle se pencha et, sans crainte de se salir, ramassa une poignée de terre. 


Duncan fut surpris, mais attendit patiemment qu’elle parlât. 


Elle palpa ce symbole du sol de la plantation pour communiquer avec sa chaleur, et se pencha pour en humer les effluves puissants. 


Sa voix, empreinte d’émotion, s’éleva dans l’air de Tara : « « La terre est l’unique chose au monde qui mérite qu’on travaille pour elle, qu’on se batte pour elle, qu’on meurt pour elle. Parce que c’est la seule chose qui perdure. » Voici ce que mon père avait coutume d’affirmer. Il me le répétait à l’envi lorsque je faisais mine de négliger son importance au profit des lumières scintillantes de la ville. J’étais sa fille aînée. L’héritière de l’attachement ancestral des Irlandais à leurs racines. »


Duncan était curieux : « Savez-vous d’où vient le nom de Tara ? »


« Quand Gerald O’Hara a gagné, par une partie de poker chanceuse, ces terres sauvages, il a décidé de baptiser son nouveau domaine en souvenir de la colline légendaire de Tara, qui fut, il y a des siècles, la capitale du grand roi de l’Irlande ancienne. »


Elle s’amusa de son air surpris. « Je vous le concède. Il était présomptueux pour un pauvre paysan Irlandais de considérer ces champs arides comme son royaume dans la nouvelle Amérique. Mais je lui donne raison. Pour moi, cet endroit vaut tous les royaumes du monde. »


Comme il était aisé de se laisser aller à la confidence avec un auditeur si attentif…  


« J’ai quitté Tara lorsque je me suis remariée après la guerre. Suellen, son mari et leurs enfants en ont fait leur foyer. Ils continuent à la faire vivre par leur présence et leurs bons soins. Mais cette plantation est avant tout la mienne. Légalement, bien sûr, puisque j’en suis propriétaire d’une quote-part. Financièrement parce que mon argent, et celui de Rhett, l’ont sauvée de la décrépitude, et que je continue à la financer généreusement. Mais surtout par le cœur. »


Elle ne put cacher sa rancœur en enchaînant : « Pour ma sœur cadette, cet endroit est synonyme de tracas, d’entretien ingrat, et d’obligation de rester prisonnière de la campagne. Seul Will porte un amour presque aussi fort que le mien pour cette terre. Cela se voit à la façon dont il a plaisir à la faire fructifier. Quant à ma benjamine, Careen, elle a abandonné, sans hésitation ni regret, sa part à l’Eglise catholique et au couvent qui l’abrite. » 


Ils s’étaient arrêtés en chemin, et ils s’assirent sur un petit banc de pierre ayant une vue plongeante sur le porche de la bâtisse.


« Comprenez-vous maintenant pourquoi je considère Tara comme ma maison ? Même si ma vie à Atlanta m’en éloigne, savoir que la plantation existe est le réconfort de ma vie. Elle motive mon action professionnelle pour continuer à la faire prospérer.»


L’étroitesse du banc les obligeait à ce que leurs genoux se touchent. C’était la première fois depuis l’épisode de la bibliothèque qu’elle trouvait cette promiscuité dangereuse.


Aucune voix humaine ne venait perturber leur intimité. Les oiseaux dormaient eux aussi. On entendait seulement le hululement d’une chouette et le grésillement répétitif des criquets.


Lorsqu’elle tourna son visage pour l’interroger, elle put sentir son odeur particulière : « Que pensez-vous de cette immersion dans mon monde ? »


De ses grands yeux bleus, Scarlett ne distingua plus, à quelques centimètres de distance, qu’une auréole azurée mangée par la pupille dilatée. 


Le souffle de Duncan sur sa peau la fit frissonner. 


Sa voix était anormalement rauque : « Passionnante, à votre image. Au premier abord, elle m’est apparue mystérieuse. Puis je l’ai vue tourmentée, marquée par les meurtrissures que la guerre a causées. Au terme de notre cheminement, je l’ai découverte résiliente, ayant réussi à transformer les séquelles douloureuses en terreau encore plus fertile… » 


Scarlett se surprit à retenir sa respiration, tant la fougue narrative de Duncan l’emportait. 


Il conclut dans un murmure : «…riche en promesses d’un avenir radieux. »   


Scarlett identifia le même trouble qui l’avait saisie dans l’ancien bureau de sa mère. Amplement partagé par celui que Duncan ne cachait plus.


Enfin, il détourna la tête et porta son regard devant lui, vers le porche de la maison. Ou plutôt, comme Scarlett le soupçonna, fixait-il un point inconnu et plus lointain. Ne pouvant plus lire sur ses lèvres, elle ne comprit tout d’abord que des bribes de mots.


« Pas l’habitude.. », « sentiments », « Je suis confus… », « J’ai vagabondé…». 


Lasse, elle se rapprocha jusqu’à être collée à lui pour l’entendre : «…de femme en femme, de corps en corps, je l’avoue. Les rapports entre un homme et une femme se limitaient à des échanges joyeux, légers, sans conséquences, de part et d’autre. Aucune attache !, c’était mon principe de vie. C’est pourquoi j’ai pu sans complexe me consacrer à mon art. Et puis, par une après-midi ensoleillée d’hiver, vous êtes apparue dans la salle d’exposition de « La Mode Duncan ». Sous l’effet de la lumière sûrement, mais aussi, je le crois, par un signe divin, une aura scintillante vous entourait, rendant votre silhouette irréelle tant elle était parfaite. Le 20 février. C’était un dimanche. Je m’en souviens comme si c’était hier. Je pourrais vous décrire, minute par minute, vos gestes jusqu’au moment où vous êtes repartie chez vos tantes. Ce jour-là, l’univers n’eut d’autre sens que de se limiter à votre présence à côté de moi sur cette terre. »


Le cœur de Scarlett battait tellement fort qu’elle craignit qu’il s’emballât. Que décrivait-il ? Était-ce cela, le coup de foudre dont on lui avait tant rabâché les oreilles ? Elle avait aimé Ashley alors qu’elle n’était qu’une enfant. Pour Rhett… il avait fallu douze ans avant de réaliser qu’elle l’aimait. Non ! On était loin du coup de foudre… Cependant, pourquoi l’image d’un inconnu la déshabillant du regard, au bas du grand escalier de Twelve Oaks, repassait constamment dans sa mémoire, comme un rêve rejoué chaque nuit ? Non, cela n’avait rien à voir avec ce que Duncan lui disait avoir ressenti. Les mauvaises manières du Capitaine Butler l’avaient choquée. C’était tout. Voilà pourquoi l’instant précis de leur rencontre était gravé dans son esprit. Il n’y avait aucune autre interprétation à faire.


Que disait-il maintenant ? Elle se concentra. Le ton était soudainement devenu léger. « Aimez-vous la poésie, Scarlett ? »


Elle en fut décontenancée. Oh non ! Pas comme Ashley ! Il ne va pas passer des heures à me déclamer des textes alambiqués dont l’unique sens est de compter les syllabes et de faire rimer les vers de strophe en strophe… Elle décida d’être franche pour couper court à de futures et ennuyeuses séances de lecture.  


« Non ! » Une réponse courte et définitive.


Duncan éclata d’un rire joyeux, aussi adolescent que celui des Frères Tarleton. « Ah ! Scarlett ! Vous êtes mon rayon de soleil ! Comme j’apprécie votre franchise si… peu féminine. Votre Mammy a dû vous vous l’interdire en vain. Rassurez-vous, c’est la seule de vos particularités qui ne le soit pas, féminine » - Il sourit – « Permettez-moi de m’esclaffer, car je suis heureux que nous ayons un autre point commun. La poésie m’ennuie à mourir ! »


D’abord stupéfaite, doutant de la chance de ne pas avoir à supporter un autre poète invétéré comme Ashley, elle joignit très vite son rire au sien. Les sons radieux résonnèrent dans le ciel étoilé de Tara.


Après avoir repris un semblant de sérieux, il dit : « A Paris, mes obligations professionnelles m’obligeaient souvent à fréquenter les salons mondains où je rencontrais les riches époux de mes clientes. J’avais appris à faire bonne figure, mais je m’ennuyais à mourir lorsque l’un d’entre eux avait décidé d’exhiber pompeusement son vernis de grand lettré. Donc, lors d’une de ces manifestations, à la fin de l’année 1872, un jeune homme décida de rendre hommage à un écrivain français, Théophile Gautier, qui venait de s’éteindre. (*) Il commença à lire quelques-unes de ses œuvres. Bien sûr, comme d’habitude, mon attention se mit en sommeil. Alors, pourquoi soudainement mon ouïe capta ce texte en particulier ?»


Il semblait continuer à chercher un sens à cet épisode. «Peu importe la raison, j’ai écouté. Me permettez-vous, exceptionnellement, en vous promettant que ce sera le dernier pour l’éternité, de vous le réciter ? C’est bien le seul poème dont je me souviens des paroles par cœur. Pour se faire, daignez que je plonge mon regard dans vos yeux. Vous comprendrez pourquoi. »


 Il prit sa main dans la sienne. Son pouce caressa la paume en mouvements légers. Puis Scarlett ne vit plus que deux captivants feux noirs. Quand il commença à parler, elle perçu son tremblement dans la voix, identique à celui de sa main brûlante dans la sienne.

 

« Vous avez un regard singulier et charmant ;
Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
Votre prunelle, où brille une humide paillette,
Au coin de vos doux yeux roule languissamment.

 

Ils semblent avoir pris ses feux au diamant ;
Ils sont de plus belle eau qu'une perle parfaite,
Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète,
Ne voilent qu'à demi leur vif rayonnement.

 

Mille petits amours, à leur miroir de flamme,
Se viennent regarder et s'y trouvent plus beaux,
Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.

 

Ils sont si transparents, qu'ils laissent voir votre âme,
Comme une fleur céleste au calice idéal
Que l'on apercevrait à travers un cristal. » (*)

 

 

« Hum… J’espère ne pas vous avoir ennuyée ».


La gorge nouée, Scarlett se trouva incapable d’émettre le moindre son. Elle le rassura simplement en souriant, et en faisant un mouvement de tête de dénégation.


Rassuré, il reprit : « L’auteur avait donné, comme titre à son œuvre : « A de beaux yeux verts » (*). Un nom prédestiné, ne trouvez-vous pas ? Je me souviens m’être fait cette réflexion à la fin : Si je venais un jour à croiser de tels yeux, j’abandonnerais toutes mes certitudes pour n’avoir qu’un but, celui de chérir la belle âme qui en serait dotée.»


La seconde d’après, elle ne comprit plus ce qui s’était passé, comment elle s’était retrouvée dans ses bras. Sa seule certitude était le son des battements de cœur frénétiques mêlés à des respirations hachées. Son champ de vision se limita à la chemise de lin blanche, enfermée sous son gilet de soie brodée si douce au toucher.


Il s’écarta légèrement d’elle pour nicher ses mèches blondes dans le cou de la jeune femme.


Dans son émoi, elle entendit vaguement « Scarlett », « Mon ardente », « Si tendre… votre peau est si tendre…»


Ses moustaches chatouillaient maintenant la naissance de sa gorge. Il ne réfrénait plus ses gémissements entrecoupés de mots doux. 


Les sens de Scarlett en furent bouleversés. Son odorat, sa vue, son toucher n’avaient plus qu’un pôle d’attraction, le corps vibrant de Duncan Vayton. 


Sa bouche osa s’aventurer un peu plus bas, sur la dentelle bordant son modeste décolleté. Quand son emprise se fut plus possessive, et qu’un bras osa rester posé au creux de ses reins, quand elle devina le sens des louanges murmurées par des lèvres vagabondant sur les quelques centimètres de peau dénudée, alors elle ressentit le désir douloureux d’une musculature plus puissante, des épaules plus larges, des gestes plus brutaux, d’une bouche revendicatrice posée plus bas, au creux de ses seins, d’une étreinte sauvage qui marquerait sa peau de stigmates pour en chérir la trace au réveil. 


Pour chasser l’intrusion violente de l’image de son ancien mari dans ce moment d'intimité passionnée, elle s’enhardit, de rage, à caresser la belle tignasse blonde dont les pointes étaient humides de transpiration.


Il répondit à son geste sensuel avec encore plus de frénésie et de baisers. Comme un animal lançant une plainte, elle l’entendit dire : « Scarlett, je vous… »


« Ma’am Scarlett ! Où êtes-vous ? Il est l’heure de rentrer. Vous allez attraper la mort. Le tonnerre gronde au loin. L’orage va éclater. Venez à la maison, mon agneau. » 


Scarlett s’écarta doucement de l’homme, agité de tremblements, et dont les mains retombèrent comme un pantin dont on aurait sectionné les fils. 


Elle l’entendit murmurer : « Je vous demande pardon, Scarlett. Je n’aurais pas dû… »


Elle passa gentiment sa main sur la sienne et lui dit : « Rentrons, ou Mammy va faire retentir la foudre sur ma tête. »


Duncan se recomposa une attitude plus calme. Tendrement, il précisa : « Foudre de Georgie… »

 

*******

 

13 juin 1876, 22 heures, downtown Atlanta

 


“Quelle belle soirée nous avons passée ! Le spectacle était enchanteur. Et les acteurs d’une telle qualité de jeu ! Votre mari mérite d’être mille fois récompensé pour avoir attiré, dans notre chère ville, la plus prestigieuse troupe de théâtre de Londres. »


 Taisy remercia, ravie d’avoir tissé de nouveaux liens d’amitié avec ce couple féru de sorties culturelles. Ils étaient sympathiques et d’agréable compagnie pour elle, lorsqu’elle se retrouvait seule, comme ce soir. Ils drainaient dans leur sillage un aéropage d’érudits et d’artistes dont les pensées innovatrices dynamisaient les sphères intellectuelles traditionnelles du Vieux Sud.


« C’est très gentil de votre part de me raccompagner. Harry m’a averti qu’il allait converser au moins pendant deux heures avec les personnalités qui se sont déplacées pour voir la représentation. Je vais sagement rentrer à la maison, bien au sec. L’orage a dû tonner fortement pendant que nous étions à l’intérieur. Les chaussées sont trempées. »


Les trois amis attendaient la voiture tirée par deux chevaux qui avait dû stationner un peu plus loin, faute de place sur l’avenue, tant le divertissement avait attiré du monde. 


Elle s’éloignait de quelques pas, pour mieux apprécier l’affiche de la pièce de théâtre accrochée à un poteau, quand elle vit s’avancer dans sa direction un homme à la belle carrure, la silhouette familière de Rhett Butler.

  
Son pas hésitant l’étonna. Il passa à côté d’elle, tête baissée, sans la voir. Elle eut le réflexe d’arrêter sa déambulation en attrapant sa manche : « Rhett ! Quel plaisir de vous croiser ! »


Lorsqu’il leva les yeux sur elle, Taisy eut un choc. Lui faisaient face deux orbites noirs, vides d’expression.    
Il sembla s’extirper difficilement de sa rêverie et la reconnut. « Taisy ! Je suis confus. J’étais tellement plongé dans mes pensées… Comment sinon ne pas remarquer une dame aussi ravissante que vous ? Je m’en serais voulu pour l’éternité… » Pour se faire pardonner, il lui baisa élégamment la main. 


L’esprit perçant de l’épouse d’Harry Benett ne fut pas dupe de la tirade galante, prononcée par réflexe par un séducteur impénitent. Son sourire n’arrivait pas jusqu’à ses yeux. Il paraissait détaché, ailleurs. Des perles de sueur couvraient son front. 


Quant à sa mise, elle dénotait. Lorsqu’elle avait fait sa connaissance, il était tiré à quatre épingles. Or, ce soir, son costume semblait étriqué. Il était sec alors que ses chaussures étaient maculées de boue. 


Tout cela était inhabituel. Elle s’enhardit à lui demander : « Rhett, êtes-vous malade ? Vous transpirez. J’ai l’impression que vous vacillez. »


Ses mains tremblantes contredirent son sourire forcé : «Je suis touché par votre sollicitude. Tout va bien, je vous assure, Chère Taisy. »


Ses yeux voilés disent tout le contraire… « Non, vous n’êtes pas dans votre état normal. Quelque chose vous tracasse. Vous pouvez me dire la vérité. Nous sommes amis maintenant. » 


Il tourna légèrement la tête. De peur que je lise en lui… Un souvenir fit irruption dans la mémoire de Taisy. La nonchalance décontractée de Rhett, puis son air désespéré – semblable à ce soir – à la vue de Scarlett jouant à minauder avec Ashley Wilkes. 


Abruptement, elle dit : « C’est Scarlett ? Quelque chose ne va pas avec Scarlett ? » C’était plus une affirmation qu’une interrogation.


Pour toute réponse, il serra les poings. Un homme abattu, baissant les épaules en signe de défaite. 


Prise d’une impulsion, elle lui ordonna : « Restez ici un instant, je vous prie. Je vais revenir. »


La voiture attelée des Burton était arrivée. Elizabeth était déjà à l’intérieur, et Richard Burton attendait leur amie pour l’aider à s’installer. 


Taisy s’approcha du couple et prit un air contrit : «Je suis vraiment désolée de vous avoir fait attendre. Je viens de rencontrer un de nos amis qui a rendez-vous avec mon mari. Comme Harry est en plein entretien, je vais le faire patienter dans les salons de la Salle des Fêtes. Mille mercis pour cette charmante soirée. Et à dimanche prochain, comme nous en avons convenu ! »


Après les derniers adieux amicaux, ils se séparèrent. 


Elle poussa un soupir de soulagement. Rhett n’avait pas bougé. 


Sans nul doute, il a besoin d’aide ! L’efficace Taisy allait prendre les choses en main. 


Elle passa affectueusement son bras sous le sien, et lui parla gentiment : « Venez avec moi à l’intérieur. Harry est occupé pour l’instant. Il nous rejoindra plus tard. Quant à vous, je crois qu’un rafraîchissement ou un alcool fin vous fera le plus grand bien. » Et elle l’entraîna avec elle, sans qu’il émit la moindre objection.

 

*******

 

Le double whisky qu’il avait commandé redonna un peu d’éclat à ses yeux. 


La tête enfoncée dans le dossier capitonné d’un des confortables fauteuils du Bar des Artistes, il le dégustait à petites lampées, comme un assoiffé égaré dans le désert se raccroche aux dernières gouttes de sa gourde.


Taisy sortit de sa pochette de bal un petit carnet. Elle griffonna avec le crayon miniature quelques mots dans lequel elle avertissait son mari qu’elle se trouvait au Bar des Artistes, et qu’elle l’attendait en compagnie de Rhett Butler.  


Elle héla le serveur qui se précipita, à l’affût de la moindre demande de l’épouse du Directeur des Activités Culturelles de la Mairie. Ordre lui fut donner de porter le pli à son mari qui se trouvait dans l’amphithéâtre. 


Ceci fait, elle pouvait enfin se consacrer au passionnant Rhett Butler.


Sa voix se fit apaisante : « Rhett, nous nous sommes rencontrés qu’une seule fois, mais je crois pouvoir affirmer qu’un lien s’est immédiatement créé. Vous et moi sommes assez non conformistes pour croire qu’une réelle amitié entre un homme et une femme est envisageable, même si cette notion n’est pas usitée dans notre cercle de gens bien nés. Surtout, nous avons un point commun. Vous savez lequel, n’est-ce pas ?»


Rhett la regarda, semblant hésiter à le formuler. 


Elle prit les devants : « Scarlett. Notre chère Scarlett. J’ai énormément d’admiration pour cette femme courageuse, si innovante, vive et gérant son entreprise aussi bien qu’un homme. Quant à vous… » - Elle marqua un temps d’arrêt, car elle le sentait tendu – «Outrepasserais-je les limites de la pudeur des sentiments, si je formulais l’idée que vous avez toujours une profonde affection pour votre ancienne épouse?»


Elle s’attendait à une dénégation, plus ou moins formelle de la part d’un homme aussi orgueilleux qui avait exhibé son indifférence marquée devant leur hôtesse de Peachtree Street.   


Il inclina encore plus sa tête en arrière et ferma les yeux, puis aspira profondément.


Puis il persifla amèrement. « Cela fait seize ans que je dissimule ma « profonde affection » pour elle. Et vous, en quelques heures, cela vous a sauté aux yeux. Bravo ! Vous avez toute mon admiration ! » Pour appuyer sa déclaration, il fit mine d’enlever un chapeau imaginaire – celui qu’il avait laissé chez Belle.


Taisy ne comprenait pas. « Dissimuler ? Même auprès de Scarlett ? »


« Surtout auprès d’elle. Avec modestie, je dois dire que j’y avais parfaitement réussi. Elle n’y avait vu que du feu. Jusqu’à ce qu’une très grande dame, Miss Melly, Madame Mélanie Wilkes, le lui révèle avant de mourir. »


«L’épouse d’Ashley ? » 


« Oui. Elle adorait Scarlett. Aveuglement. Alors, elle lui a fait deux derniers cadeaux avant de fermer les yeux : elle lui a offert sur un plateau celui que ma femme avait depuis toujours illicitement convoité derrière le dos de l’épouse. Elle l’a supplié de veiller sur son mari ! » Son ricanement se renforça. « Ironique, n’est-ce pas ? » 


Il s’agitait maintenant, se pliant en avant, ébouriffant avec nervosité ses mèches de cheveux humides.   


« Vous parlez de deux cadeaux. Quel était l’autre ? »


Cette fois ci, un rire sonore retentit dans le silence du salon déserté. « Moi ! Dans sa grande pudeur, elle a utilisé ses dernières forces pour penser aux autres, à moi, renégat que ne méritait pas son affection. Avant de quitter ce monde, elle lui a dit quelque chose comme ça : « Pense au Capitaine Butler, il t’aime tellement ! »
Un sanglot se bloqua dans sa gorge. « C’était une grande dame ! »


« Je ne comprends pas, Rhett. Pourquoi avoir caché votre amour  à votre épouse ? »


Cette fois ci, il la regarda en face, les yeux dilatés : « Mais parce qu’elle l’aurait utilisé contre moi en le faisait virevolter sur ma tête comme un fouet ! Soyez-en certaine, Taisy, elle m’aurait fait payer ma faiblesse pour elle… »


L’épouse compréhensive d’Harry Benett était un peu perdue par cette révélation. Et dubitative quant à une telle éventuelle réaction de Scarlett.


Il sembla regretter en avoir trop dit, et modula son ton. « Ma chère Taisy, vous m’impressionnez. Votre capacité à inciter les plus rétifs à la confidence est étonnante. Pour tout vous dire, je n’ai pas pour habitude de me confier. Il est plus aisé de rester dans ma carapace. Melly… Elle avait deviné la vérité sur mon amour pour Scarlett à notre première rencontre, des années avant que je le lui avoue, à un moment très douloureux pour nous, pour Scarlett, pour moi, pour le bébé qu’elle venait de perdre à cause de moi… »


Taisy craignit qu’il réussît finalement à s’arracher une mèche de cheveux, tant il tirait dessus avec rage. 


Il se reprit, et la regarda d’un air de défi. « Une seule personne a été ma confidente. Une femme. Vous choquerais-je si je précisais qu’il ne s’agit pas d’une Dame ? » 


Elle sentit qu’il voulait la scandaliser à dessein, mais elle releva placidement le défi.


« Depuis notre arrivée à Atlanta, mon mari et moi avons été généreusement informés de choses inavouables commises par les uns, et dont les autres comptaient se servir pour obtenir les bonnes grâces de mon mari par rapport à leurs concurrents. Vous avez conscience, j’en suis certaine, que les hommes sont plus disposés aux commérages que leurs épouses lorsqu’ils se trouvent entre eux en situation de confort. Alors, je vais vous éviter d’employer toute circonlocution de votre pensée de peur de me scandaliser. J’ai eu vent, à travers mon mari, des allusions d’âmes charitables voulant nuire au couple Butler. » 


Taisy s’assura qu’elle avait sa pleine attention. « Alors, oui, on m’a parlé de la dame qui n’est pas une « Dame ». Et je ne suis pas offusquée à ce que je sois votre seconde confidente. Au contraire, Rhett, je le considérerai comme une marque de confiance chère à mon cœur. » 


Elle fut remerciée de sa franchise par une lueur de respect dans les prunelles de cet homme captivant.

Puis il éclata de rire. La première réaction sincèrement joyeuse depuis qu’elle l’avait intercepté dans la rue. « Harry a sacrément de la chance d’être votre époux ! Vous êtes une personne rare, Taisy. Un bijou de sagacité, d'intelligence et de charme. Aucun homme, même votre humble serviteur, ne peut résister à l'envie de confesser ses pêchés pour avoir le plaisir de bénéficier de votre écoute attentive."


Elle répondit avec bonne humeur à ce compliment qu'elle ressentit comme sincère et totalement extraordinaire dans la bouche de ce mâle dominant et sans nul doute misogyne.


« Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Vous l’aimiez. Elle l’a su. Alors, pourquoi… »


Son visage s’assombrit à nouveau : « Cette fameuse nuit où Melly est décédée, après avoir réconforté son cher Ashley, ma femme a couru me dire que, finalement, après plus de cinq années de mariage, elle avait eu la révélation divine de son amour pour moi. »


Taisy comprenait de moins en moins. « Comme cela a dû être doux à entendre ! Alors, pourquoi ce divorce ?»


Rhett balaya de la main un insecte imaginaire. « C’était trop tard. Je venais de perdre ma petite fille. L’amour de ma vie. Notre fille. Plus rien n’a eu d’importance. J’étais mort à l’intérieur. C’est moi qui ai pris la décision de divorcer. Quant à Scarlett et sa soudaine passion pour moi…. » Ses épaules tremblèrent sous l’effet de son rire triste.


Madame Benett se dit que le couple Butler était vraiment compliqué. Mais, en réalisant que son ami se refermait à nouveau dans sa mélancolie, elle décida de passer à une étape supérieure des confidences.


« Rhett, vous paraissez anéanti ce soir. Scarlett va bien, n’est-ce pas ? »


Il accentua son accent traînant de Charleston à dessein, pour mieux souligner l’invraisemblable nouvelle : «Oh oui ! Elle va parfaitement bien. Si bien qu’elle est partie ce matin avec son amant pour passer la nuit dans son cher Tara. »


Elle feignit d’être surprise par le départ de Scarlett, programmé la veille avec Duncan Vayton. Mais pourquoi parlait-il de son amant ?  D’après ce dont elle avait été témoin au dîner, ils ne paraissaient pas à un tel point d’intimité – même si le beau Duncan en manifestait le désir.  Son amant… Parlait-il d’Ashley Wilkes ? Tout cela était bien confus.

«Vous vous méprenez, mon cher Rhett. D’après ce que j’ai pu entrevoir lors de la réception de Scarlett, il me paraît douteux qu’Ashley Wilkes… »

Elle n’osa pas finir sa phrase, car, en fait, l’attitude alanguie du veuf envers sa belle-sœur était sujette à caution. Tout comme l’épisode de la cuillère... 


D’un geste, Rhett fit signe au l’employé du bar de le resservir. Il en profita pour élaborer mentalement la réponse adéquate. Déjà, un nouveau double whisky était sur la table. Sans hésiter, il vida d’un trait la moitié de son verre. 


Sous le ton de la blague, il précisa : « Pas cet amant-là ! Après la séance théâtrale entre eux deux à laquelle vous avez assistée, je pensais… j’avais peur… j’étais horrifié à l’idée, après toutes ces années où ils ont eu toute la peine du monde à le cacher en public, qu’ils étaient sur le point de concrétiser leurs pulsions éthérées mais refoulées, un sentiment si noble, si pur, si sublime, incompréhensible pour le commun des mortels, et en particulier pour moi, son mari si grossier, comme elle me l’assena un jour, sans gêne. » 


Rhett s’était emparé d’un jeu de cartes qui décorait chaque table. Il entreprit de tordre l’ensemble d’une seule main, pour ensuite le détruire en charpies.   


« Que nenni ! Maintenant que ce pleutre de Wilkes est libre et ouvertement à ses pieds, il semble bien que l’enjeu ne soit plus à la taille de mon ambitieuse Scarlett. Non, au moment où je me ridiculise devant vous à pleurer ce qui est perdu à jamais, elle exhibe dans sa famille à Tara sa proie toute fraîche. Et quel capture prestigieuse, puisqu’il s’agit du célèbre Duncan Vayton en personne ! »


Pour mieux marteler cette information, le verre à moitié plein fut bu en un instant.


« Wouah ! » Taisy mit sa main devant la bouche, confuse d’un tel manque d’élégance de sa part en proférant une onomatopée si vulgaire., mais satisfaite de ses talents d’actrice. De cette façon, elle pouvait cacher ce qui finissait par ressembler à de la complicité coupable de sa part. Si Rhett apprenait qu’elle avait été témoin de la stratégie du couturier pour être invité à Tara….


Malgré son désespoir, Rhett rit de cette rafraîchissante honnêteté. « N’est-ce pas ? J’aurais pu le dire aussi lorsque ma chère Ella, mon innocente et gentille belle-fille, m’a annoncé incidemment que sa mère serait en mesure de commander une robe d’hiver pour sa fille à Duncan Vayton, ce soir même à Tara. Au lieu de m’en amuser, voilà des heures que j’erre comme une âme en peine – quoique cela fait très longtemps que je l’ai vendue au diable. C’est minable, n’est-ce pas ? »


Taisy fut tentée de lui prendre la main pour le réconforter. Mais mieux valait ne pas donner matière à toute mauvaise interprétation d’un geste jugé déplacé par les employés de son mari.

« Rhett, vous vous trompez certainement. Ce n’est pas parce qu’ils visitent Tara ensemble que… »


Il la coupa dans son élan : « Tara représente tout pour Scarlett. Pour sauver sa plantation, elle avait dû.. »

Il s’arrêta à temps. « C’est sa maison. Son enfant. Elle y tient plus qu’à ses enfants de chair, sans le moindre doute. Donc, si elle est partie avec lui ce matin dans le County de Clayton, la signification est lumineuse. Enfin, plutôt sombre pour moi. »


Il était courbé en avant, les deux mains enfouis dans son visage. Son corps s’agitait. Pleurait-il ? Taisy eu le cœur brisé d’être témoin d’une telle détresse chez ce symbole de virilité et de puissance physique.


«Vous devez me trouvez pitoyable, n’est-ce pas ? Et vous avez raison. Quel comportement lamentable ! Je m’étais juré de changer, d’arrêter de la dénigrer pour masquer ma souffrance. Vous savez, Taisy, si notre couple n’a pas été heureux, c’est surtout à cause de moi. J’ai été cruel avec elle, parce que j’avais peur… Je vous en prie ! Oubliez ce que j’ai dit sur Scarlett. Vous êtes son amie, et je peux vous garantir que c’est la femme la plus admirable qui existe, tellement courageuse, intelligente, et généreuse avec ceux qu’elle aime. Et j’ai vu qu’elle vous apprécie vraiment. »


Son débit de paroles s’était précipité. Comme pour chasser plus vite les méchancetés qu’il vient de prononcer contre sa femme, réfléchit Taisy. Cet homme est désespéré. Et passionnément amoureux.


« Comme d’habitude, je me suis laissé emporter par ma jalousie. Mais je suis persuadé que vous le savez : Scarlett est une jeune femme droite, avec des principes très stricts qu’elle a toujours respectés. Jamais elle n’accepterait de…. Avec un homme… En dehors du mariage… Je le sais au fond de moi, et je regrette d’avoir prononcé de telles horribles suppositions devant vous. Elle n’a jamais été infidèle. Ashley… c’était un entichement de jeune fille, et j’ai passé la moitié de la vie de Scarlett pour le comprendre. Alors que mes infidélités étaient bien réelles, elles…. Elle est mille fois plus respectable que toutes ces dames de la bonne société d’Atlanta qui s’était détournées d’elle pendant un temps, surtout à cause de mon comportement, d’ailleurs. Je les avais même incitées à la dénigrer, pour mieux assurer mon image de père parfait auprès de ma Bonnie. Taisy, je lui ai fait tant de mal…»


La femme d’Harry était bouleversée par cet homme détruit. Elle se demandait ce qu’elle pourrait lui dire pour lui redonner espoir.


Il reprit : « Mais je suis terrifié qu’elle accepte finalement de l’épouser. Pas pour son argent, je sais bien que ce ne serait pas la raison. Mais parce qu’elle l’aime sûrement. Je la comprends. Il a tous les atouts en main. Et surtout, il ne l’a jamais fait souffrir, au contraire de moi. J’ai tellement peur de l’avoir perdu à jamais… Cela fait des heures que j’erre à la recherche d’un salut improbable. Aussi ridicule qu’un papillon de nuit enfermé se cognant de murs en fenêtres pour trouver une issue, avant d’accepter sa défaite. J’ai cherché du réconfort auprès de ma petite Bonnie depuis la fin de l’après-midi,  jusqu’à ce que l’orage transforme mes habits en fripes ruisselantes. » 


Il la regarda puis lui désigna son costume : « Vous, une femme si élégante, vous devez être horrifiée de me voir porter un tel accoutrement beaucoup trop serré pour mon corps empesé ! Puisque nous en sommes à l’heure des confidences sans retenues, je vais encore essayer de vous scandaliser, ma chère amie. Après le cimetière, mes pas m’ont amené là où je finissais mes nuits, honteusement, au temps où Scarlett portait le titre de Madame Butler. Vous devinez où, n’est-ce pas ? Vous ai-je choqué ? » 


Il la regardait d’un air goguenard, mais Taisy ne s’en offusqua pas. Elle précisa calmement : « Non, rien ne me choque. J’essaye de vous comprendre, c’est tout. »


Il hocha simplement la tête, acceptant finalement qu’une personne, l’amie de Scarlett, fasse montre de sincère empathie pour lui.


« J’étais tellement trempé que je lui ai fait pitié. N’est-ce pas risible ? Elle avait gardé mes affaires. C’est ainsi que j’ai récupéré ces hardes pour être un peu plus présentable. Par contre, mes chaussures... » Tous deux regardèrent la boue séchée qui endommageait le cuir. « Imaginez Scarlett faisant la comparaison entre mes atours de cette nuit et ceux de son élégantissime Prince de la Mode. »


Tous deux se mirent à rire. Enfin l’atmosphère se détendait !


« Peut-être n’est-il pas trop tard ? Vous m’avez dit la connaître depuis plus de seize ans. Vous avez dû partager tant de choses ensemble ! »


Rhett regarda au fond de la salle, comme pour faire renaître des fantômes. «Avant de réussir à l’épouser, j’étais son seul ami. Nous passions des heures à parler. Je la faisais rire. Elle me confiait ses tracas, ses succès en affaires, ses piques lancées à des mégères. Je lui racontais mes aventures, nous rions ensemble de mes petits travers illicites… Notre amitié me manque. Je me languis de son appétit de vivre, même de ses pointes de colère légendaires. J’ai besoin de ma famille, de mes enfants. Et de ma femme. Lui est en train de me voler ma vie ! Comprenez-vous, Taisy ?  Depuis seize ans, je ne respire que pour Scarlett. Elle est mon oxygène, mon obsession… J’ai essayé de vivre sans elle, mais je n’y suis pas arrivé. Et je suis en train d’en crever…. » Sa voix se brisa. 


« Avant ce soir, j’avais l’espoir, j’avais le projet de… , mais c’est trop tard. Il va lui demander de l’épouser, si ce n’est déjà fait, et elle acceptera.»


Elle le coupa. « Rhett, oubliez cette journée à Tara. Scarlett n’est pas une étourdie, et ne se laissera pas séduire si rapidement par un homme, même s’il s’agit du séduisant Duncan Vayton. Voulez-vous bien me dire quel est votre projet pour renouer ce lien merveilleux qui vous unissait ? »


Lorsque Harry put enfin se libérer de ses obligations professionnelles et vint rejoindre son épouse et son partenaire en affaires Rhett Butler, il les trouva plongés en pleine discussion.

 

Auteur : Arlette Dambron.

 

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Notes sur le chapitre 34 :


(*) Théophile Gautier, né à Tarbes le 30 août 1811 et mort à Neuilly-sur-Seine le 23 octobre 1872. Poète, romancier et critique d'art français. Poème intitulé : A de beaux yeux verts », tiré du recueil « La Comédie de la mort », 1838. 

Disclaimers : je n'ai aucun droit sur les personnages et l'histoire d'Autant en emporte le Vent qui appartiennent à Margaret Mitchell. J'ai créé le "monde" de Duncan Vayton et de Blanche Bonsart.
 


Commentaires des lecteurs sur mon roman "The Boutique Robillard" sur fanfiction.net et Ao3 - Chapitre 34 :

Gab ? sur Chapitre 34 Tue 05 Oct 2021 : Une fois de plus, je suis en admiration devant votre Rhett Butler, vous écrivez son personnage magnifiquement.
Reply Thread BlancheScarlett on Chapter 34 Thu 07 Oct 2021 : Bonjour ! Merci beaucoup ! Bon, j'ai une "astuce" d'écriture : sur mon document Word, juste sous la ligne que je tape, j'ai joint une photo de Rhett - triste. Les scènes avec lui sont vraiment difficiles à écrire, parce que... j'ai de la peine pour lui. Donc, pendant que je tape, mon visage est triste ! !! N'est-ce pas drôle ?
Reply Thread Parent Gabella2423 on Chapter 34 Thu 07 Oct 2021 : C'est une super "astuce" et ça marche à merveille. Je ressens sa douleur.
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Scarl ? chapitre 34 . 16 octobre 2021 : Oh, je sens qu'un plan se prépare ! C'est si rafraîchissant de voir Rhett assumer enfin tous les torts qu'il a commis contre Scarlett, même si Scarlett a parfois été un partenaire égal dans la disparition de leur couple. Dieu bénisse Mammy pour avoir gardé le loup à distance. Voyons comment Scarlett va reprendre sa vie amoureuse avec des hommes qui ne semblent pas savoir comment être honnêtes avec elle. Et en tant que croupier dans cette partie de poker, Scarlett a toutes les cartes en main, mais qui va-t-elle forcer à se coucher, et pour qui va-t-elle faire tapis ?

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Star ? chapitre 34 . 14 octobre : J'espère qu'elle épousera Duncan. Après avoir divorcé d'elle, et l'avoir si mal traitée, Rhett ne la mérite pas.

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Invité Chapitre 34 . 6 octobre : Les deux chapitres étaient sensationnels. Vous avez utilisé le tonnerre presque comme un personnage à part entière, et il a joué un rôle central auprès des principaux protagonistes. J'ai aussi aimé les similitudes entre la confession de Rhett à Mélanie dans le roman d’origine, et son cœur à cœur avec Taisy. Contrairement à Miss Mellie, Taisy n'est pas en admiration devant Scarlett ou Rhett, et est mieux placée pour informer Scarlett des véritables sentiments de Rhett avant qu'il ne soit trop tard. Ensuite, je m'attends à ce que Duncan débarque avec toutes les fautes de Rhett et une liste de ses maîtresses actuelles, à Charleston et à Atlanta. J'ai absolument adoré la façon dont vous avez écrit la scène Taisy / Rhett, à la fois intensément personnelle et dans un lieu public sans que cela soit inconvenant. J'ai également eu un joyeux ricanement à propos de M. et Mme Burton. Merci beaucoup pour tout votre travail. Je n'arrive pas à croire que vous ayez écrit tout ça en seulement deux semaines. Je ne m'attends pas à retrouver le même volume, et le temps que prendra la mise à jour ne me dérange pas.

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Invité Chapitre invité 34 . 5 oct. : puis-je être impudent et dire que je veux que vous me mettiez à jour plus souvent ? :)) J'adore le développement de l'intrigue et j'ai hâte de savoir ce qui va se passer. Je ne comprends pas l'amusement de Taisy à propos du voyage de Scarlett et Duncan, n'en a-t-elle pas discuté avec son mari pendant le dîner ? Si je me souviens bien, c'était l'idée de Harry que Duncan aille dans le Sud.

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Wind ? chapitre 34 . 5 octobre : Magnifique. Pauvre Rhett. Je suis si heureuse pour Scarlet, j'espère qu'elle est avec un homme qu'elle aime et qui l'aime. Qui est-ce que ça va être ? Je suis tellement en conflit entre les deux.

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Aeth ? chapitre 33 . 5 oct. : Wow, quel chapitre incroyablement intense. Rhett est un connard, mais les scènes avec lui étaient si intenses. Vous avez dépeint une image si vivante. Je peux l’imaginer près de la pierre tombale de Bonnie. Vous juxtaposez si bien le désespoir de Rhett et l'excitation de Duncan d'être avec Scarlett. Duncan et Scarlett tissent un lien toujours plus profond. Là où Rhett n'a jamais posé de questions sur Tara ou sa vie là-bas, Duncan découvre tout. Rhett semblait n'aimer que la Scarlett du présent ; Duncan semble se soucier de la Scarlett du passé, du futur et du présent.

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Maît ? chapitre 34 . 5 octobre : Quel pur plaisir de lire ce chapitre. Dans l'épisode précédent, il était étonnant de voir comment Belle fantasme sur les retrouvailles avec Rhett et brode de faux rêves qui se brisent en un instant. Belle qui est prête à accepter Rhett à n'importe quelle condition,  même si elle sait qu'il aime Scarlett et qu'il ne l'a jamais aimée, elle, et ne l'aimera jamais. C'est ce qui est étonnant dans l'amour. L'amour est illogique, irrationnel, l'amour est brûlant L'amour est un bouquet d'épines. Tel est l'amour de Scarlett pour Rhett. Et je pense que Duncan est juste incroyable, parfait en tout point, trop parfait pour Scarlett. Elle va se lasser de lui très rapidement. Elle n'oubliera jamais son amour inassouvi pour Rhett, il brûle toujours dans ses os. Il brûle toujours en elle, sinon elle n'aurait pas essayé de combattre son désir pour lui quand elle était avec Duncan. Si elle épouse Duncan, Rhett sera son Ashley dans ce mariage... Dans cet épisode, j'ai particulièrement apprécié la rencontre entre Rhett et Taisy ; je voulais être là à sa place. Peut-être qu'elle sera le médiateur entre Rhett et Scarlett ? Scarlett et Rhett sont les "méchants" du quartier, ils sont tellement complexes et pas du tout ordinaires. Ils sont les plus adaptés au monde. La relation entre eux est comme le feu. Merci de partager cela avec nous.

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Mme ? chapitre 34 . 4 octobre : D'abord, il va voir sa maîtresse Belle pour se plaindre de Scarlett, puis il discute avec une autre femme au hasard (qu'il sait être l'amie de Scarlett) et continue à dire du mal de Scarlett. Plus tard, il s'excuse à nouveau et dit qu'il n'essayait pas de ternir la réputation de Scarlett, qu'elle est une femme formidable et que tout va bien. Breu, je n'aimerais vraiment pas que Rhett et Scarlett se remettent ensemble. Rhett peut utiliser des prostituées et coucher à droite et à gauche, parce qu’il sait qu’une femme comme Scarlett ne peut pas le faire. Et Scarlett ne peut pas penser à Ashley comme à une tromperie (émotionnelle ou autre) selon Rhett. Rhett s'est marié en sachant parfaitement que Scarlett s'était entichée d'Ashley. Elle a été honnête à ce sujet avec Rhett. On ne peut donc pas vraiment blâmer Scarlett pour les problèmes. Rhett était un lâche malhonnête depuis le début. Et selon cette fanfiction, il a divorcé et l'a abandonnée (dans le contexte de cette période). Non, aucune chance pour Rhett à nouveau.

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 Truc ? chapitre 34 . 4 octobre : Il est temps que Rhett admette la façon misérable dont il a traité Scarlett après leur mariage. Dommage qu'il l'avoue ouvertement à Taisy au lieu de l’avoir fait  auprès de Scarlett depuis longtemps... Scarlett. Sera-t-elle un jour capable de faire confiance à Rhett, qui a passé une grande partie de son temps avec des prostituées à Atlanta et ailleurs ? Duncan et Scarlett sont bien assortis l'un à l'autre. A mon avis, Duncan n'a pas eu trop de libéralités avec Scarlett ce soir. Juste assez de passion pour lui montrer qu'ils ont une grande alchimie ensemble !

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Orb ? chapitre 34 . 4 octobre : Ahh, je suis contente que Rhett ait maintenant un ami qui se trouve être l'amie de Scarlett.


Invité Chapitre 34 . 4 oct. 2021 : Ce Rhett est un bâtard chanceux, encore une fois il a réussi à se faire une alliée parmi les personnes les plus proches de Scarlett. Maintenant, pour être fair-play, Duncan ferait mieux d'en avoir un aussi. Et ce serait le mieux si son alliée est Mammy, au moins quelque chose pour compenser ce qui aurait pu être un baiser :) Rhett a donc accepté de porter la responsabilité de la mauvaise réputation de Scarlett, sans oublier de l'avoir calomniée une fois de plus, ce "noble homme courageux". Je dirais que ce n'est pas assez, rien n'est même plus suffisant pour qu'il répare les dégâts, qui d'ailleurs ne cessent de croître puisqu'il continue à répandre des rumeurs calomnieuses sur elle ici et là.

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