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Read on line, follow the updates of my historic novel The Boutique Robillard, fandom of Gone with the Wind (in English, click on top)

 

 

 

Lisez en ligne mon roman historique, dans l'Amérique de 1876 : La Boutique Robillard, ma suite d'Autant en Emporte le Vent (en français)

Publié par Arlette Dambron

 

Elle se réveilla doucement, apaisée.

Elle baissa le menton. Il se tenait sur le côté, collé à elle. Sa tête n’avait pas bougé de la poitrine rebondie de Scarlett, s’incrustant sur ce coussin douillet, même dans son sommeil.

Elle put observer à loisir ses lèvres goulues qui exhalaient un ronflement en soufflant sur son sein.

Cette image émouvante lui serra le cœur.

Elle ne pouvait pas bouger la tête car il avait saisi ses plus longues mèches enroulées autour de son cou, alors qu’une main les tenait, de peur qu’elles ne lui échappent dans sa léthargie.

Ses cheveux parsemés de fils gris étaient humides de sueur. Les rides qui s’étaient matinées au fil du temps, creusées par sa vie aventureuse et le malheur, semblaient comme par miracle s’être lissées. Sauf celle au coin des lèvres, la ride du sourire qui flottait et dont toute ironie s’était évaporée.

La beauté sauvage d’un animal au repos avant qu’il vous prenne entre ses griffes pour vous étouffer et vous dévorer…  Cette animalité qui l’avait toujours fait frissonner, c’était Rhett. Celui qui avait rendu les armes cette nuit.

Une image s’interposa, celle de Duncan. Duncan et ses yeux bleus, ses boucles blondes et sa douceur.

Mais il y avait Rhett… Rhett si dangereux même quand il dormait en toute confiance sur elle.

Qu’allait-elle faire ? Que fallait-il qu’elle fasse ? Elle ne pouvait se cacher la vérité. Le langage de son corps l’en défendait. Cette folie qui l’avait fait tomber dans un précipice de sensualité, elle voulait la retrouver encore et encore…

Mais avant cela, il fallait qu’elle ait une discussion avec Duncan. Elle le lui devait par honnêteté.

Elle passa sa langue sur ses lèvres pour les humecter.

Elle avait soif.

Sa gorge était sèche et irritée d’avoir tant gémi de plaisir.

En cet instant, un verre d’eau lui sembla la boisson festive parfaite qui allait célébrer cette nuit folle.

La petite lampe éclairait la table de nuit. Elle y chercha du regard la carafe. Désespérément vide.

Je vais me lever pour aller boire dans le salon.

Avec de multiples précautions, se dégageant centimètre par centimètre de l’étreinte de son amant, elle réussit petit à petit à se séparer de lui.

Il grogna. Même plongé dans un profond sommeil, il eut conscience qu’elle lui échappait. Instinctivement, il lui caressa les cheveux. Son grognement fut remplacé par un gloussement, celui d’un enfant heureux.

Enfin elle sortit du lit.

Elle revêtit sa robe de chambre et quitta la pièce sans bruit, pour se diriger tout droit vers la desserte du salon où George avait déposé une autre carafe dans un seau à champagne en argent.

Elle se servit un grand verre d’eau. Les glaçons du bac avaient fondu. L’eau était tiède, mais elle lui fit l’effet du meilleur élixir, une source de jouvence pétillante semblable à son état d’esprit.

Ses membres étaient endoloris par leurs ébats. Je vais être pleine de bleus ! Et probablement quelques morsures là où… Au lieu de s’en irriter, elle rougit. Ces petites douleurs étaient une douce récompense, celle de se sentir vivante. Et aimée. Il m’aime. Il m’a dit qu’il m’aime !

Elle se sentit embarquée dans une cascade d’émotions vertigineuses, propulsée dans un avenir désormais lumineux car guidé par la force irrépressible de Rhett.  

Elle savait qu’elle ne pourrait pas rebrousser chemin. Elle n’aspirait plus qu’à une chose : retrouver ses bras. Et redevenir Madame Butler…

Sauf que… Duncan… Lui aussi m’aime. Je vais lui faire tellement de mal. Comment vais-je le lui annoncer ? Il faut que je trouve les mots pour lui dire

Ses yeux balayèrent le wagon, comme si dans les recoins du varnish de luxe elle allait trouver la solution, l’argument qui pourrait atténuer la peine de son fiancé.

Ils s’arrêtèrent sur la mallette que Rhett avait laissée ouverte sur la table.

Poussée par une impulsion, elle s’approcha, concentrée sur un seul point : le reflet doré de l’écrin mystérieux.

Mue par la curiosité d’une petite fille cherchant à deviner les cadeaux destinés à ses sœurs, elle tourna la minuscule clé en bronze dans son axe, ce qui déclencha un claquement métallique, et elle souleva le couvercle.

Sur le velours pourpre, il y avait une trace. Probablement celle laissée par le bracelet que Rhett m’a offert «au nom de la Fondation».

Juste à côté, une bague. Elle retint sa respiration, et écarquilla les yeux : quelle beauté dans l’épure !

Source Musée du Louvre.

Source Musée du Louvre.

A la patine, elle comprit immédiatement qu’il s’agissait d’une antiquité égyptienne, aussi ancienne que son bracelet.

Elle effleura le minéral vert. Du jaspe, expertisa-t-elle en connaisseuse.

De la pulpe de l’index, elle suivit les cannelures. Les ailes fermées d’un scarabée. Elle se souvint avoir lu un article retraçant les trésors retrouvés dans le sarcophage d’une déesse. A l’époque, elle s’était fait la réflexion que l’un ou l’autre de ces joyaux lui siérait à ravir. On y parlait d’un scarabée. Qu’avait dit le journaliste ? Ah oui ! Elle s’en souvenait. C’était le symbole de l’immortalité et de la fertilité. La fertilité… Elle agrippa fortement la pierre.

L’enchâssement du chaton était fait de deux couronnes. Quant à l’anneau en or si délicat… il a l’allure d’une alliance… (*1)

L’envie de le passer à son doigt la titilla. Elle regarda ses mains. L’annulaire droit était décoré d’un diamant enchâssé dans un cabochon, un des nombreux héritages de son grand-père Robillard.

La bague aurait meilleure allure à ma main gauche. Trop petite pour être portée sur le majeur, seul l’annulaire pouvait correspondre à la taille de ce bijou qui avait orné les doigts effilés d’une déesse de l’Antiquité.

Pour cela, il fallait enlever le camée au camélia. Pour se donner bonne conscience d’écarter, ne serait-ce qu’un instant, le gage d’amour de Duncan, elle se dit : juste trente secondes. pour voir l’effet qu’il fait. De toute façon, bientôt je la lui rendrai officiellement…

Puis elle se figea. Cette bague n’est pas pour moi ! Il a précisé que ce qu’il avait emmené avec lui était pour Charleston. C’est une bague de fiançailles. Un anneau. La fertilité. La promesse d’un enfant… C’est la bague de fiançailles qu’il destine à Roselyne Tucker.

Cette réalisation lui fit mordre la lèvre inférieure, si cruellement qu’elle sentit le goût acre du sang sur la langue.

Elle argumenta pour se rassurer : Mais ça, c’était avant ! Après leur nuit d’amour, il ne pouvait plus offrir cette bague à une autre. Pas après ce qu’il m’a dit, il ne peut pas la demander en mariage. Ce n’est pas possible.

A moins que… Et s’il avait tout oublié à son réveil ? Ce ne serait pas la première fois …

Le doute s’installa, aussi vicieux qu’un serpent prêt à la mordre en traître en insufflant son venin.

Il m’a demandé de l’épouser. Mais seulement quand je me suis refusée à lui.

Cette constatation l’a foudroya. Entre tous les mots d’amour passionnés roucoulés comme du miel, parmi tous ces mots, il ne lui avait fait qu’une vague demande lorsqu’il avait voulu la posséder pour assouvir son propre plaisir.

Pour faire taire ce cheminement de pensées déstabilisant, elle aspira profondément et elle se resservit un verre d’eau.

Un petit plateau en cuivre martelé était disposé à côté de la carafe.

La veille, George y avait déposé le surplus trouvé dans les poches du costume de son client. Les yeux de Scarlett survolèrent machinalement un élégant portefeuille, quelques pièces, un mouchoir immaculé…

Son attention s’arrêta sur un feuillet plié en quatre. Sur la surface apparente, l’en-tête du National Theater était partiellement visible. Pour se distraire du nuage de spéculations qui menaçait de ternir le souvenir de cette nuit idyllique, elle déplia à moitié le papier.

Scarlett réalisa aussitôt qu’il s’agissait de l’agenda des représentations du Black Crook, le spectacle féerique qu’elle n’oublierait jamais.

L’écriture était griffonnée. La nièce du Directeur s’était dépêchée pour recopier des informations succinctes, quelques dates avec le nom des villes aligné à côté.

Il y a un mois de battement entre deux dates. Peut-être qu’Harry Benett pourrait-il s’accorder avec le producteur du Black Crook afin que de faire venir la troupe à Atlanta pendant ce laps de temps ?

Elle déplia entièrement la lettre, mais il n’y avait pas d’autre indication. Une deuxième page tomba, pliée en quatre elle aussi.

Sur la face apparente imprimée du même en-tête commercial, elle ne vit qu’elle : une tache rouge, écarlate. Non pas faite avec de la peinture ou un crayon. Une tache en forme de lèvres, peinte avec du fard à lèvres. Une tache symbolisant un baiser.

Chapitre 50. Soif ! 2e partie. Mon roman The Boutique Robillard, ma suite d'Autant en Emporte le Vent

Cela la frappa aussi violemment que la foudre. Fébrilement, elle déplia complétement la feuille. Son cœur se mit à battre sous ses tempes, tant la suspicion lui tordait l’estomac.

C’était la même écriture brouillonne que sur la liste du Black Crook. Mais encore moins appliquée. Les caractères étaient plus grands, écrits à la hâte, comme si son auteur s’était laissé aller et ne maîtrisait plus le souci de calligraphie.

L’amazone

Ses yeux se brouillèrent. Ils déchiffraient chaque lettre, formaient des mots, mais leur sens ne parvenait pas à son cerveau comme si celui-ci refusait de visualiser la réalité.

Pour se convaincre qu’elle ne rêvait pas, elle se mit à lire à voix haute :

 

« Tesoro ! (Mon Chéri)

Quelques mots en vitesse. Ne t’inquiète pas. J’ai bien compris que tu devais faire semblant ce soir avec ta « Régulière ». Dès que tu trouveras un prétexte pour t’en débarrasser, viens vite me rejoindre cette nuit, à n’importe quelle heure. Je t’attends. Tu connais le numéro de la chambre… J’ai hâte ! Je mettrai un déshabillé de tulle transparent, le genre que tu adores.

Si jamais elle t’avait mis le grappin dessus, alors retrouve-moi dès que tu pourras à New York. J’y serai dans un mois. Tu te rappelles où je cache la clé, n’est-ce pas ? Sous le troisième pot à fleurs. Je suis bête ! Pourquoi le préciser depuis toutes ces années. Te rends-tu compte, dix ans, l’anniversaire de notre rencontre au Niblo’s !

Viens ! Je brûle !

Ta petite Clementina t’attendra, les cuisses ouvertes comme tu les aimes. Amore Mio, dépêche-toi ! »

 

De dégoût, Scarlett laissa tomber la lettre pour ne pas être salie par la vulgarité immonde qui suintait de chaque mot et par les images qu’elle suggérait.

L’espace d’une seconde, elle eut un fol espoir, celui d’avoir été transplantée à nouveau dans son rêve.

Le sifflement de la locomotive l’a fit sursauter. Non ! C’était bien la réalité.

Elle reprit le papier pour être sûr d’avoir bien compris : « Dès que tu trouveras un prétexte pour t’en débarrasser, viens vite.»

Alors, sa partie de poker avec Antonio Pagani n’était qu’un leurre ? Il était avec elle la nuit dernière après qu’il m’ait tenue dans ses bras ! Après qu’il m’ait embrassée follement sur…, il est allé rejoindre cette…cette… putain.

Un haut-le-cœur la submergea. Elle eut juste le temps d’utiliser le pot à glaçons pour éjecter les glaires qui étaient remontés, car son corps entier se révoltait.

Répugnant ! C’est un porc. Rhett Butler, vous êtes un porc ! Oh ! Et dire que j’allais me laisser prendre à vos belles paroles ! Quel talent avez-vous déployé pour me berner ! Vous avez presque eu ce que vous vouliez avec votre logorrhée de mensonges. Presque, mais c’est tout comme. Combien de filles vous en faut-il chaque nuit ? Vous êtes un porc !

C’était la seule injure qui lui vint à l’esprit tant ce débauché l’écœurait.

Elle dut s’asseoir car ses jambes flageolaient.

Il faut que je quitte ce cauchemar !

Elle se sentit sale. Sale de s’être abandonnée à lui. Sale que ses mains l’aient touchée, sale de ce qu’il lui avait fait, de ce qu’elle avait fait - alors que quelques heures auparavant il avait forniqué avec sa maîtresse.

Parce c’était évident. Ce n’était pas seulement une fille d’une nuit. Non ! En plus de Belle, il avait une autre « régulière » qu’il voyait depuis longtemps. Qu’avait-elle dit ? Dix ans. Un anniversaire à fêter…

Ah ! Je vais vomir ! Elle agrippa à nouveau le pot de glace, mais son estomac était vide. Seule ne restait que l’amertume qui pesait sur son cœur.

Elle eut envie d’arracher sa peau pour se désinfecter du stupre dont il l’avait souillée.

Il faut que je me calme. Non, vous n’arriverez plus à me détruire une nouvelle fois, Rhett Butler. Je n’entrerai plus dans ce cercle infernal d’épouse trompée. Je suis plus forte qu’il y a trois ans. Et maintenant, j’ai Duncan, Duncan qui m’aime d’un amour pur et sain, qui ne mène pas une double vie, qui n’est pas tordu et pervers comme vous. Non ! Je ne me laisserai pas abattre cette fois-ci !

C’était décidé : elle allait faire table rase du passé et changer ses rêves. Un autre avenir ne demandait qu’à s’ouvrir à elle – plein de certitudes et de l’assurance d’être réellement aimée.

Même si cette résolution lui fit serrer les mâchoires pour empêcher les larmes de couler.  

Sans faire de bruit, elle pénétra à nouveau dans sa chambre. Rhett ronflait. Ses traits étaient détendus. Le petit sourire en coin ne l’avait pas quitté. Ses moustaches frétillaient. Probablement était-il plongé dans un rêve. Dans ses fantasmes, avec combien de filles était-il ?

Elle secoua la tête. Non ! Ça suffit !

Avec des gestes rapides et silencieux, elle sélectionna la robe qu’elle allait porter ce matin, son corset, des bas et un ensemble de sous-vêtements. Puis elle referma la porte de la chambre derrière elle.

Quelle heure était-il ? Cinq heures et demie. Il était tôt, mais elle ne doutait pas que le personnel de leur wagon privé était attentif à leur moindre signal. Sans pitié pour le sommeil coupé de Jenny, elle l’appela avec la sonnette.

Celle-ci mit quelques minutes pour arriver. Ses yeux étaient rougis par la fatigue et son uniforme n’était pas impeccablement boutonné. Mais, en employée zélée de la Pullman’s Palace Car Company, elle arborait dès l’aube un sourire avenant.

«Bonjour, Madame. J’espère que vous avez bien dormi. Que puis-je faire pour vous ? »

Sa voix raisonna, calme, maîtrisée : « Jenny, faites-moi couler un bain, je vous prie. Que l’eau soit chaude. Très chaude. »

« Oui, Madame. »

Pour calmer son impatience, elle la suivit pendant qu’elle remplissait la baignoire en marbre avec le réservoir d’eau chaude.

Scarlett prit les bouteilles d’huiles essentielles de gardénia et de violette et versa généreusement les précieux liquides dans l’eau.

Aussitôt, la petite salle de bain embauma.

« Voulez-vous que je vous aide à entrer dans la baignoire ? »

« Non, revenez dans une demi-heure pour m’habiller et me coiffer. Amenez avec vous une brosse. Je ne sais plus où se trouve la mienne. Avec des pinces à cheveux. Merci.»

Les vapeurs parfumées furent l’effet d’un cataplasme calmant. Les effluves grisants l’anesthésièrent. Ce dont elle avait précisément besoin.

Car il fallait qu’elle soit lavée de toutes émotions afin d’interpréter avec la même maîtrise que les plus célèbres tragédiennes de New York le répertoire qui allait abattre celui qui lui avait brisé le cœur une deuxième fois – la fois ultime.

 

Vêtue de sa robe de voyage la plus stricte, coiffée d’un chignon impeccable, elle avala par habitude quelques miettes de biscottes avec un café. Son estomac n’en aurait pas supporté davantage.

Elle était prête.

En allant s’asseoir, elle passa devant la petite poubelle en osier sans y jeter un regard. Parmi quelques feuilles chiffonnées en boule, vestiges de ses brouillons de travail, de minuscules bouts de papier déchiquetés, pas plus grands qu’un petit pois, étaient éparpillés. Si quelqu’un y avait prêté attention, il n’aurait discerné parmi ces confettis que quelques anonymes points rouges.

ooooOOoooo

Clark Gable.

Clark Gable.

«Oh ! Ma Douce… » Il gémit en s’étirant langoureusement comme un fauve après un sommeil réparateur.

Le bras posé sur le drap froid le sortit de son agréable somnolence.

Elle n’était plus à côté de lui.

Cela l’étonna car elle aimait traîner au lit lorsqu’elle ne travaillait pas. Elle s’est probablement levée pour prendre son petit-déjeuner.

Toujours admiratif de son solide appétit, il partit d’un éclat de rire. « Mon affamée de femme ! Moi aussi je suis affamé. Affamé de toi. Je vais te dévorer ce matin…. »

A cette perspective, sa vigueur matinale se réveilla, d’autant plus ostensible qu’il était nu sur le drap. Il en rit.

«Quelle nuit ! Elle m’a rendu fou… » Devant lui défilaient des images toutes plus érotiques les unes que les autres. Le corps de Rhett avait retrouvé la verdeur de ses vingt ans. Pas étonnant après avoir tenu dans mes bras la plus belle femme de l’univers.

Comment le monde avait-t-il pu basculer d’une heure à l’autre, de l’incertitude et la frustration au bonheur – simplement le bonheur ?

Et dire qu’il y a moins de deux mois, - le 27 mai, il s’en souvenait comme si c’était hier - il était au fond du trou du désespoir ! Comme par magie, d’un battement de ses cils de cygne, elle l’avait fait replonger dans la passion enflammée et l’empire des sens.

Se rend-elle compte du pouvoir qu’elle a toujours sur moi ? Il a suffi que je l’effleure au bal de la Battery pour que je sois à nouveau enchaîné, pieds et poings liés à elle.

Mais comment en aurait-il était autrement ? Dès la seconde où il l’avait revue –pas son hallucination dans la cour de son damné voisin – dès la seconde où il avait senti son parfum et plongé ses yeux dans ses précieuses améthystes, il avait compris qu’il avait perdu la bataille contre cet amour qu’il avait voulu renier de toutes ses forces. Cet amour qui l’avait rongé à petit feu jusqu’à en perdre la raison.

Comme j’ai été vaniteux de croire que je pourrais guérir d’elle !  Elle a même réussi à me transformer en moine abstinent depuis nos retrouvailles…

Mais comment aurait-il osé gâcher le souvenir de sa main dans la sienne, la chaleur de ses reins sous sa robe haute couture, toutes ces enivrantes sensations seulement pour consommer des putains ? Toucher une autre femme aurait été le plus sûr moyen de faire s’évanouir ce rêve éveillé. Conscient que son raisonnement déraillait, il était quand même à deux doigts de le comparer à de la profanation.

Quand je pense que ce voyage, riche en promesses de la faire mienne à nouveau, a manqué tourner à la catastrophe avec The Black Crook… Il s’en est fallu d’un cheveu pour que mes turpitudes me rattrapent et anéantissent tout espoir. Cette pauvre fille gorgée d’illusions qui a eu, comme tant d’autres, la manie de transformer du sexe en aventure. Pourtant, j’avais fixé les règles dès le début : mon argent contre des brèves «distractions». Heureusement, elle a su se tenir en présence de mon éblouissante épouse.   

Epouse… Pas encore mais bientôt. Madame Scarlett Butler… Quelle démence d’avoir eu l’outrecuidance de dissocier ces deux noms !

Une chance inespérée – la meilleure « main » de poker de sa vie – lui permettait d’effacer cette aberration. Pour qu’elle soit à nouveau sa femme.

« Enfin, tu es à moi. Tu m’aimes ! Tu ne me l’as pas dit, mais ton corps l’a prouvé. Tes baisers… Ta bouche… Ta langue… Ta main… Oh, ma Chérie, j’ai tellement envie de toi !» 

Il était tellement excité qu’il avait parlé à voix haute.

Il fut saisit d’un petit rire. Il allait avoir besoin d’un bain glacé – ou plus conforme à son désir – il allait la convaincre de passer les dernières heures jusqu’à Atlanta en position allongée…

Quelle femme ! Dès les premières secondes sur les marches de Twelve Oaks, vous m’a jeté un sort, mon ensorceleuse. Car, si ce n’est par envoûtement, comment expliquer que je sois follement amoureux de vous comme au premier jour ? Encore plus intensément qu’au premier jour.

Son cœur s’emballait tant il était ivre de joie.

Je te promets que nous allons être heureux. Il ne manque que notre petite Bonnie. Je suis certain que là où elle est au ciel, elle sourit que son Papa et sa Maman soient à nouveau réunis.

Il fallait qu’il se lève. Tout d’un coup, il se sentit prêt à chambouler la Georgie et la Caroline du Sud réunies. Il y avait tant de choses à organiser.

Il n’était pas possible d’annuler sa courte visite à la Nouvelle Orléans. Mais il allait la convaincre de l’emmener avec lui à Paris en confiant son magasin à son assistante. Wade et Ella les accompagneraient. Il engagerait deux précepteurs pour les occuper quelques heures. De toute façon, les vacances scolaires avaient commencé.

La priorité sera d’organiser nos épousailles. Scarlett adorera une cérémonie originale sur le bateau. Le Capitaine nous mariera. Ainsi, nous voyagerons officiellement en tant que mari et femme. Avant l’embarquement, Scarlett va sûrement dévaliser les boutiques pour acheter des tenues de cérémonie pour les enfants. Je suis impatient de voir quelle robe de mariée elle me destine pour la déchirer… Quant à la lune de miel dans la plus belle suite du navire…

Heureusement, Prissy sera du voyage pour s’occuper des enfants. Je leur ferai découvrir Le Louvre. Nous nous promènerons ensemble au Bois de Boulogne. Les artistes qui vont se joindre à l’aventure de la Fondation de notre Bonnie vont raffoler de la splendide Madame Butler. Je l’emmènerai danser dans une guinguette au bord de la Seine…

Oh oui, ils allaient s’amuser.

Comme la vie allait être belle maintenant ! Il allait la gâter. Et surtout, il allait la goinfrer de déclarations d’amour enflammées. En ne craignant plus qu’elle s’en serve comme d’une arme contre lui.

Car elle l’aimait… Il ferma les yeux pour savourer cette assurance toute fraîche. Si fragile encore…

Ensuite, ce serait le branle-bas-de-combat à Atlanta. Plus question de passer un jour de plus à Charleston. Sa maison était Scarlett. Et donc celle de Peachtree Street. Il s’était tant langui de sa famille qu’il serait heureux de retrouver la « monstruosité» car elle représentait leur foyer.

Dorénavant, toutes ses affaires allaient être gérées à Atlanta. Lorsque je serai tenu de m’éloigner, j’emmènerai ma chère femme avec moi. Oh non ! Plus question de la laisser seule. Ne serait-ce que pour une nuit

Tant d’idées s’entrechoquaient pour réorganiser leur nouvelle vie qu’il fallait qu’il agisse et qu’il en parle dès maintenant à Scarlett.

Il enfila son pantalon de pyjama et sortit de la chambre.

 

oooOOooo

 

Il l’aperçut dans son fauteuil préféré. Elle était habillée. Déjà habillée ?

Sans un bruit, il s’approcha d’elle par derrière, avec la démarche d’un sioux.

Son cœur battait plus vite car il avait conscience qu’aujourd’hui était leur renaissance à tous deux.

Il se pencha sur elle, colla son torse nu contre son dos et lui embrassa les cheveux, pendant que ses bras lui enveloppaient les épaules avec possessivité.

Clarck Gable.

Clarck Gable.

«Bonjour Mon Amour ! Comme vous sentez bon !» Son intonation était câline, faisant penser à un gros chat qui vient ronronner auprès de sa maîtresse.

Elle fit un bond, eut un mouvement de recul et se leva immédiatement.

Il s’arrêta net, les sourcils rapprochés, l’incompréhension se lisant sur son visage.

« Scarlett ! Ma Chérie, que se passe-t-il ?»

Elle se tourna vers la fenêtre et regarda le paysage défiler un instant. Puis elle prit sa respiration, et d’une voix calme, lui dit :

«Jusqu’à notre arrivée à Atlanta, je vous prierai de me dispenser de votre présence. Le wagon est assez grand pour que nous n’ayons pas à nous croiser.»

En un quart de seconde, il était derrière elle. Ses doigts agrippèrent ses épaules comme des serres au point de la meurtrir. « Scarlett, que racontez-vous ? Que se passe-t-il ?»

Ses lèvres se nichèrent dans sa nuque : « Vous ai-je fait mal cette nuit ? J’ai essayé pourtant… Ma Chérie, dites-moi pourquoi vous semblez être de si méchante humeur ce matin. Nous avons encore de longues heures devant nous avant d’arriver à Atlanta. Suffisamment pour que je vous fasse oublier votre réveil difficile.»

Pour apaiser l’atmosphère, il constata tendrement : « Ma tigresse a sorti ses griffes, ce matin… »

Sa voix était aussi caressante que ses mains qui courraient autour de sa taille, voulaient remonter vers ses seins, encercler son ventre… «Mmm ! J’ai faim…»

«Ne me touchez pas ! » Le ton ne prêtait plus à méprise.

Interdit, ses bras tombèrent le long de son corps. Son front se rida de perplexité. Etait-ce autre chose qu’un nuage orageux auquel il avait l’habitude ?

D’un timbre subitement mal assuré, il ne renonça pourtant pas à se tenir à quelques centimètres derrière elle, car elle avait décidé de rester collée à la fenêtre, semblant passionnée par la forêt bordant les rails.  

«Chérie, pourquoi refusez-vous mes caresses ? Cette nuit…»

« Il ne s’est rien passé cette nuit.»

Il la retourna contre lui et lui tint le menton pour la forcer à le regarder. «Arrêtez ce petit jeu de coquette. Avouez que cette nuit a été magique…»

A cette seule évocation, la tentation fut trop forte. Il utilisa le pouce qui lui serrait toujours le menton pour effleurer le coin des lèvres.

Elle s’arracha de son étreinte avec une telle violence qu’il en fut désarçonné.  On dirait… Non ! Ce -n’est pas possible ! Ce n’est pas une réaction de répulsion. Non

Ses yeux lancèrent des éclairs en le toisant : «Magique ? Quelle emphase, Capitaine Butler !  Soyez honnête pour une fois dans votre vie. Il ne s’est rien passé sauf ce qui est très commun entre un homme et une femme ; sauf ce que vous faites toutes les nuits depuis des années avec des centaines de femmes.»

Il se prit nerveusement la tête entre les mains, tirant sur la pointe des cheveux pour se raccrocher au réel. «C’est un cauchemar. Vous m’avez embarqué dans votre cauchemar. Aidez-moi à m’en sortir ! Scarlett ! Aidez-moi à me réveiller ! Je ne comprends plus rien…»

Au lieu de répondre à son appel à l’aide, elle assena glacialement : « Il n’y a rien à comprendre. Sauf une chose : c’est fini.»

Rhett la regarda, les yeux dans le vague, essayant de capter son esprit pour donner un sens à cet épouvantable retournement. Lui, qui était expert à la comprendre mieux qu’elle-même, fut perdu.

Alors il répéta simplement ces deux mots laconiques : « C’est fini ? » Comme si, en les prononçant, il arriverait à les rendre intelligibles.

Le ton de Scarlett raisonna implacablement. «Oui, c’est fini ! Enfin, je ne sais pas comment le qualifier d’ailleurs. Appelons cela notre relation… d’amitié ou plutôt d’habitude. Elle prend fin maintenant.»

«Relation d’habitude ?» Il se colla derrière elle pour que leur proximité lui rappelle l’intimité d’il y a seulement quelques heures. Il cacha son visage dans la chevelure tant chérie pour atténuer le bruit de sa confession : «Une douce habitude de mari et de femme, d’amant et de maîtresse. Que nous avons reprise mieux qu’avant. Et qui va continuer pour l’éternité car, n’avez-vous pas reconnu être à moi ? Vous me l’avez prouvé. Et moi, je vous aime. Je vous l’ai avoué, et le redis : je vous aime, Ma Chérie.»

Rhett Butler, en colère contre Scarlett O'Hara, Autant en Emporte le Vent.

Rhett Butler, en colère contre Scarlett O'Hara, Autant en Emporte le Vent.

Encore une fois, elle se dégagea brutalement, affichant ostensiblement cette fois-ci sa répugnance. Ses lèvres, qui d’habitude étaient une invitation au baiser, se tordirent en une méchante grimace qu’elle accompagna d’un claquement sec de la langue contre son palais.  «Je vous en prie. Assez de déclarations lénifiantes. C’est obscène.»

Rhett en eut le souffle coupé. Les traits durcis, il lui secoua le bras sans ménagement : « Obscène, mon amour pour vous ? Quelle est donc cette hérésie qui vous fait délirer ?»

Quel contraste entre son ton au bord de l’explosion et le timbre monocorde de son amante ! «Dans quelques jours, je vais rejoindre Duncan. Nous allons voyager avec mes enfants et sa famille à Philadelphie. Nos fiançailles seront rendues publiques le 20 octobre, au lendemain de l’inauguration du Musée de Charleston.»

La rage monta si violemment qu’il en eut la nausée. D’une dureté aussi pure que le silex, il déclara, ne contenant plus sa violence :

«Je ne sais pas quelle folie s’est emparée de vous au réveil, mais je ne vous laisserai pas fuir la félicitée que nous avons connue cette nuit. Je vous mets en garde : votre projet de convoler avec votre fantoche de prince n’arrivera pas à bout. Je le détruirai. Je ne vous laisserai pas l’épouser. M’entendez-vous ? Je ne vous laisserai pas. Jamais.»

Il dut se tenir au dossier d’un fauteuil car tout tournait autour de lui. Les battements de son cœur étaient si échevelés qu’il plaça la paume contre sa poitrine dans une tentative vaine pour les apaiser.

« Seraient-ce des menaces, Capitaine Butler ? Bien que conformes à votre image, elles sont vaines. Vous ne gagnerez pas cette fois. Je veux que vous cessiez, lors de l’inauguration d’Atlanta, d’afficher la moindre proximité avec moi. Tout le monde sait que nous avons divorcé. Tout le monde doit savoir que nous sommes devenus des étrangers l’un à l’autre. Nous nous nous limiterons à une politesse formelle. D’autre part, dorénavant, tout contact avec mes enfants vous sera interdit et la porte de ma maison sera close pour vous. Ma décision est irrévocable.»

Trop ébranlé, il ne broncha pas, le dos courbé, les yeux fixés sur le tapis.

« Quant au Fonds financier de la Fondation, trouvez quelqu’un d’autre pour le diriger. Il sera aisé de me remplacer avec votre cohorte de comptables.»

Il marmonna : « Mais Bonnie…»

« Ne mêlez pas ma fille à vos manipulations. Après l’inauguration des deux musées, nous romprons tout contact. Puisque ma vie sera en partie à Charleston avec Duncan, je vous prierai, lorsque nous nous croiserons, de m’ignorer.»

Puis calmement, comme si elle venait de donner un ordre à son laquais pour donner congé, elle s’empara d’un magazine et commença à le feuilleter dans son fauteuil.

Le silence recouvrit la pièce. On n’entendit plus que le roulement des roues sur les rails et le froissement du papier quand elle tournait la page.

Tourner la page… Aussi facilement que ce qu’elle vient de faire avec notre histoire….

Rhett se massa frénétiquement le cuir chevelu comme si cela pouvait activer la compréhension de ce qui se passait. Avec l’agilité d’esprit qui le caractérisait, il essaya d’échafauder le cheminement des pensées qui avaient transformé l’amoureuse passionnée en femme intransigeante et glaciale.  

En vain. Il n’y avait aucune logique à trouver.

Sauf à nier tout simplement ces dernières minutes : Scarlett était de mauvaise humeur – pour une raison inconnue, mais combien de fois avait-il été confronté à son tempérament ombrageux pour des broutilles ? Il allait la saisir dans ses bras, l’embrasser et lui faire oublier ces troubles passagers.

Il n’allait pas abandonner… L’enjeu était trop important. Car l’enjeu, c’était sa vie.

Mais…sa dureté contenue le désarçonnait. Il aurait préféré qu’elle se mette à crier, qu’elle casse un vase comme lorsqu’elle piquait une de ses fameuses crises. Non, elle était calme – et froide.

Froide… Une bouffée de nostalgie de retrouver la chaleur de leur lit partagé l’assaillit. Il se mit à trembler. La sueur qui coulait le long de son échine le fit frissonner. Vaguement, il réalisa que son accoutrement était ridicule au milieu de ce salon mobile, avec seulement son léger pantalon de nuit en soie, d’autant plus qu’elle était vêtue de pied en cap, aussi formellement que pour se présenter devant sa clientèle.  

Ridicule, et vulnérable ainsi à moitié nu. Comme son âme et son cœur qu’il avait mis à nu devant elle. Il avait suffi de quelques minutes, allongé contre elle, pour qu’il se dépouillât de sa carapace de nonchalante indifférence qu’il avait jalousement sauvegardée depuis la première minute de leur rencontre – ce qui lui avait permis de survivre durant toutes ces années pour affronter cette séductrice sans pitié.

Ses yeux balayèrent l’espace, à la recherche d’une explication à ce cataclysme. Un rayon de soleil, plus intriguant que les autres, s’étala sur la table, faisant scintiller de mille feux une coulée d’or entourée d’éclats rouges et verts. Le bracelet aux lions cloisonnés. Elle l’avait enlevé – non ! Jeté – pour lui signifier qu’elle refusait son cadeau, que même un joyau de l’Ancienne Egypte, parce que offert par son ancien mari, lui était insupportable à porter.

Bracelet cloisonné de l'Ancienne Egypte, aux lions assis. Musée du Louvre.

Bracelet cloisonné de l'Ancienne Egypte, aux lions assis. Musée du Louvre.

Il secoua la tête pour se secouer de son aveuglement. Il ne fallait plus se voiler la face. La réalisation le frappa comme un coup de poignard. Ses paroles n’étaient pas causées par une fureur passagère qui s’éteindrait aussi rapidement qu’elle avait surgi, mais au contraire par un de ses très rares accès de sincérité.

Scarlett O’Hara Hamilton Kennedy Butler venait de se débarrasser définitivement de lui comme d’un vulgaire bagage encombrant. Son monde s’écroulait. Le fol espoir d’être arrivé à la reconquérir n’était que mirage.

En un éclair, tout se brouilla autour de lui. Le sifflement de vapeur de la locomotive, les essieux qui crissaient en freinant, l’arrivée en gare ou la circulation des passagers sur le quai furent englobés dans un assourdissant bourdonnement qui lui fit serrer brutalement ses tempes de peur que son cerveau n’éclatât.  

Une douleur à la poitrine lui coupa la respiration. Son poing étreignit son cœur. C’était peine perdue, car les spasmes se répandaient à la vitesse d’une crue irrépressible tout le long de sa cage thoracique. Il se mit à haleter, le souffle coupé comme s’il venait d’effectuer une course à pied.

Ses jointures blanches agrippèrent le plateau du cabinet à liqueur. Le miroir qui le surplombait lui renvoya une image blafarde. Livide. Vidée de sa substance. Son bras gauche endolori était aussi mou que du coton. Ses lèvres avaient la sécheresse du carton. Il fallait qu’il boive. D’une main tremblante, il se servi un verre d’eau mais en renversa la moitié tant il tremblait. Tant bien que mal, il réussit à ingurgiter la boisson inodore. Il aurait été incapable de supporter une goutte de whisky, car la nausée commençait à le submerger.

Elle vient d’arracher mon cœur pour le déchirer en charpie. Elle n’aura de cesse que lorsqu’il sera broyé et réduit en cendres. Pourquoi ? Mais pourquoi ?

Une douleur plus forte au thorax le força à s’affaler dans le fauteuil le plus proche. Il ferma les yeux d’épuisement, mais sa migraine galopait et ne lui donna aucun répit.

Comme dans un mirage, il eut la vision d’un spectre qui analysait cliniquement ces symptômes pour lui souffler son diagnostic : une crise cardiaque… Ce sont les prémisses d’une crise cardiaque ! Il ne faut pas qu’elle me voit réduit à l’état de loque.

Chapitre 50. Soif ! 2e partie. Mon roman The Boutique Robillard, ma suite d'Autant en Emporte le Vent

Non, il n’allait pas s’écrouler devant elle, à ses pieds. Il serra les dents. Concentrant tout ce qui restait de sa puissance physique, il réussit à réguler les battements de son cœur. Sa respiration s’apaisa petit à petit.

Comme un leitmotiv, deux mots tournaient dans sa tête, s’amplifiaient à en perdre la raison : « C’est fini ! ».  Alors, ses gémissements de plaisir, son désir pour lui, sa jouissance… Tout n’était que poussière ? Pourquoi ? Pourquoi cette cruauté ?

Cruelle comme elle l’avait toujours été à son égard. Tel un chat guettant sa proie avec obstination, sans bruit, attendant son heure, et patientant pendant quinze interminables années…

Qu’avait-il craint le plus au monde ? Que le jour où il lui avouerait son amour elle le fracasserait d’un coup de fouet pour le mettre à terre et porter l’estocade finale.

Voilà pourquoi !

Avec le peu de force que lui permettait son état, son rire tonitruant retentit si violemment que les vitres du wagon en frémirent :

« Bravo ! Vous m’avez bien eu ! Vous y êtes arrivée, n’est-ce pas, Scarlett ? Après toutes ces années où j’ai fait attention à ne pas baisser la garde. Enfin ! Vous réalisez votre fantasme, celui de fouler au pied mes sentiments. J’étais admiratif de votre tactique pour avoir fait face à l’armée de Sherman. Mais à ce point….  Chapeau bas pour votre expertise en stratégie guerrière ! Car tout était savamment calculé, n’est-ce pas ? Ce que vous avez dit cette nuit, vos gémissements, vos caresses… Le rêve – il faisait partie de votre plan aussi, pour m’attirer dans votre lit et me faire craquer ?»

Il se leva avec difficulté. La rage, la déception, la douleur, le chagrin, tout se confondit pour lui donner l’énergie de lui renvoyer sa cruauté à la face. Encore plus férocement car elle avait enfin abandonné son alibi protecteur de lecture, et elle le regardait d’un air sidéré.

«Scarlett O’Hara, l’ancienne Belle du County de Clayton dans sa majesté – vous qui avez enterré vos deux cocus de maris et êtes en passe de faire de même avec le troisième, qui avez honteusement trompé l’amitié d’une pauvre crédule parce que vous rêviez de forniquer avec son mari, vous êtes la reine des manipulatrices. Et la pire de toutes les femelles que vous honnissez. Elles au moins revendiquent de vendre leur corps pour l’amour du lucre. Il leur arrive même – et celui dont vous aviez refusé votre couche peut en témoigner – qu’elles fassent l’amour parce que le mâle dans leur lit les fait jouir. Car la grande différence entre elles et vous – le savez-vous, Scarlett ? – c’est qu’elles ont un cœur. Tandis que vous… » - Il déglutit avec difficulté, et, avec la force de volonté de l’ancien Capitaine Butler, celui qui avait été invincible, il décocha la dernière salve – «…vous, la frigide, quel beau numéro d’actrice vous avez interprété ! Ce n’est pas le National Theater qui devrait vous engager. Non, vous aurez toutes vos chances au Wallack's Theatre de Broadway (*2) pour décrocher le premier rôle. C’est ce que vous avez toujours voulu être, la première, la plus belle, la plus désirée, la plus aimée… Et voilà pourquoi vous avez fomenté votre vengeance. Parce que j’avais eu l’audace de vous rejeter il y a trois ans. Alors, pire que la plus expérimentée des putains, vous avez consenti quelques caresses au pauvre fou que je suis. Avouez, Scarlett ! Vous avez dû serrer les dents d’aversion quand je vous embrassais. Comment avez-vous réussi à ne pas vous esclaffer de rire en entendant mes ridicules déclarations d’amour ? Mais vous étiez prête à tout, même à coucher avec un homme qui vous révulse, simplement par cruauté.  Oh ! Vous m’avez bien eu. J’y ai presque cru à votre amour ! : « Je suis à vous, Rhett ! » Comment ai-je pu tomber dans le panneau si facilement ? J’en ai connu des simulatrices du plaisir que je démasquais au bout d’une minute. Mais vous… Ah ! Comme d’habitude, Scarlett, vous êtes la Reine ! Vous êtes unique dans votre perversité.»

Son cœur galopait à lui faire mal. Il fallait qu’il arrête cette horrible mascarade ou il allait laisser sa peau dans le varnish de George Pullman.

N’ayant plus le courage de se plonger dans ses yeux émeraude où il ne lirait que la satisfaction de la victoire, il déclara, la voix cassé : «Bravo. Vous avez gagné.»

Dans un dernier accès de rage libérateur, il balaya d’un revers de main les bouteilles d’alcool dressées sur le plateau central du cabinet à liqueur.

Il avait déjà quitté le wagon que les bouteilles continuaient de s’écrouler, les unes entraînant les autres, comme un château de cartes, déversant leurs précieuses et odorantes liqueurs sur le sol, en ruinant la moquette impeccable du varnish de George Pullman.

 

Auteur : Arlette Dambron.

#romand'amour, autantenemportelevent, #suite autant en emporte le vent, #coeur brisé, #amour éternel.

 

ooooOOoooo

Notes sur le chapitre 50 :

(*1) Bague égyptienne : bague au scarabée à chaton cerclé mobile, époque -664 à -332 avant J.C. (Basse Epoque) - Musée du Louvre, département des Antiquités égyptiennes, source collection louvre Numéro d’inventaire E 5301 - https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010011020#

(*2) Wallack's Theatre -- Broadway at 13th Street – théâtre célèbre entre 1860 et 1880 -   Daytonian in Manhattan, the story behind the buildings - http://daytoninmanhattan.blogspot.com/2012/09/the-lost-1861-wallacks-theatre-broadway.html

 

 

 

 

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