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Read on line, follow the updates of my historic novel The Boutique Robillard, fandom of Gone with the Wind (in English, click on top)

 

 

 

Lisez en ligne mon roman historique, dans l'Amérique de 1876 : La Boutique Robillard, ma suite d'Autant en Emporte le Vent (en français)

Publié par Arlette Dambron

Chapitre 13 Désirs 27 mars 1875, Minuit, Gentlemen's Club Haven, ma suite d'Autant en Emporte le Vent

27 mars 1875, minuit, Charleston, Gentlemen’s Club Haven

 

En quittant le fumoir, Rhett se dirigea en titubant vers le grand escalier. Il gravit, tant bien que mal, les marches le menant au deuxième étage, en s’agrippant à la rampe en fer forgé.

Il connaissait le chemin. Il l’avait emprunté de multiples fois depuis son retour d’Atlanta. En haut se trouvait son havre. L’endroit ne s’appelait-il pas Gentlemen’s Haven ? Un mirage d’oasis, certes. Mais au moins constituait-il, pour l’homme blessé qu’était devenu Rhett, un refuge pendant quelques heures.

D’ordinaire, il prenait le temps au passage d’admirer les œuvres d’art exposées à l’étage par les propriétaires français.

Les époux De Boulogne avait été de grands collectionneurs d’art en Europe. Ils étaient particulièrement friands des thèmes célébrant la femme, et avaient investi leur argent dans des œuvres de peintres célèbres du XVIIIe et début XIXe siècles reconnus pour leur représentation du nu féminin. Ils étaient aussi familiers des galeries d’art londoniennes et parisiennes exposant les toiles de peintres à la renommée obscure. Ils achetaient leurs tableaux en pariant sur leur éventuel succès et une augmentation de leurs côtes.

Lorsque Pierre et Amandine De Boulogne prirent la décision d’émigrer aux Etats-Unis d’Amérique, ils décidèrent de disperser leur collection lors d’une prestigieuse vente aux enchères à Paris. Les prix s’emballèrent. C’est ainsi que le couple qui avait misé sur des artistes en devenir, put réaliser des profits conséquents en revendant leurs œuvres au prix fort.

En arrivant sur le Nouveau Continent, ils firent l’acquisition de peintures et gravures d’artistes américains, de préférence originaires de Caroline du Sud, qu’ils s’empressèrent d’exposer dans les salons du Gentlemen’s Club Haven.

De leur petit musée personnel, ils ne gardèrent que quelques toiles de maîtres français. C’est naturellement qu’ils eurent l’idée de les utiliser en décorant le deuxième étage de leur nouvel établissement de Charleston.

C’est en s’intéressant à ses goûts picturaux que Rhett tissa des liens d’amitié avec le propriétaire du Gentlemen’s Club.

Pierre était le stéréotype de l’aristocrate français : de bonnes manières, une culture remarquable, une nonchalance à traiter des affaires d’argent, et une jouissance non dissimulée pour les plaisirs de la vie, les bonnes tables, les bons vins, et les jolies femmes.

Tout naturellement, les deux hommes sympathisèrent. Rhett s’étonna même qu’ils ne se soient pas rencontrés à Paris, car ils fréquentaient les mêmes hauts lieux distingués de plaisir… de toutes sortes.  De son côté, Pierre de Boulogne fut immédiatement séduit par le personnage haut en couleurs de l’ancien briseur de blocus, tellement plus intéressant que les hommes policés de leur milieu.

En quelques mots, le Français expliqua pourquoi lui et son épouse étaient venus s’installer à Charleston. L’aristocrate était très apprécié par l’Empereur Napoléon III. C’est pourquoi, lorsqu’ils furent confrontés, comme tous les Français, à la guerre franco-prussienne, l’exil de Napoléon III, la proclamation de la Troisième République, jusqu’aux événements tragiques insurrectionnels de « la Commune » en 1871, ils décidèrent de quitter ce pays qu’ils ne reconnaissaient plus. Et, tout naturellement, choisir le Nouveau Monde pour vivre une nouvelle aventure.

Pierre de Boulogne détenait déjà une large partie du capital de la Compagnie Générale Transatlantique qui grignotait des parts de marché aux compagnies anglaises assurant la traversée du Havre vers New York. Il décida d’investir dans les vaisseaux de fret en pleine expansion dans le port de la Battery à Charleston.

Ce gentlemen’s Club Haven était en quelque sorte « sa danseuse », un plaisir qui lui rappelait sa vie frivole parisienne. Rhett l’en félicita chaudement, et tous les deux dégustèrent les meilleurs vins de la cave du Haven en se racontant leurs aventures tumultueuses.

Lorsque Rhett souleva la question, avec précaution, de l’acceptation par Madame De Boulogne de l’existence du Haven du deuxième étage, Pierre lui révéla qu’ils formaient un « couple libre » avec son épouse. L’important était le respect mutuel, l’élégance de leurs échanges et la discrétion.

 

C’est alors que Rhett commença à se confier sur sa vie brisée, sa Bonnie, et son mariage raté. Après quelques soirées arrosées et enfumées, le Français connaissait tout sur la tigresse aux yeux verts qui avait lacéré le cœur de son ami.

C’est pourquoi il fut septique quand celui-ci lui déclara avoir tiré un trait sur cet échec. Qui vivra verra ! pensa-t-il. 

ooo

Comme pour prouver à son nouvel ami qu’il voulait maintenant tourner la page, Rhett « visitait » régulièrement l’Haven du deuxième étage.

Le collectionneur d’art français avait décidé d’intégrer ses plus belles peintures de nues dans chacun des huit boudoirs destinés à la distraction des amateurs de l’Haven.

Rhett connaissait cinq de ces salons de plaisirs. En esthète, il avait pris le temps avec nonchalance d’en admirer la décoration. Point de faute de goût. Chaque hôtesse accueillait en souriant les visiteurs du deuxième étage dans son habit - ou plutôt dans son déshabillé de scène correspondant au thème de la chambre. (*1)

Célèbre maison close de la fin du XIXe siècle, à Paris, Le Chabannais.  Les "chambres" ont un thème particulier, tel que la salon Louis XV, le salon Pompéen, la chambre indienne. La salle de bain est recouverte de mosaïque. La porte d'entrée est dissimulée dans un "tronc d'arbre". - source Lise Antuns Simoes
Célèbre maison close de la fin du XIXe siècle, à Paris, Le Chabannais.  Les "chambres" ont un thème particulier, tel que la salon Louis XV, le salon Pompéen, la chambre indienne. La salle de bain est recouverte de mosaïque. La porte d'entrée est dissimulée dans un "tronc d'arbre". - source Lise Antuns Simoes
Célèbre maison close de la fin du XIXe siècle, à Paris, Le Chabannais.  Les "chambres" ont un thème particulier, tel que la salon Louis XV, le salon Pompéen, la chambre indienne. La salle de bain est recouverte de mosaïque. La porte d'entrée est dissimulée dans un "tronc d'arbre". - source Lise Antuns Simoes
Célèbre maison close de la fin du XIXe siècle, à Paris, Le Chabannais.  Les "chambres" ont un thème particulier, tel que la salon Louis XV, le salon Pompéen, la chambre indienne. La salle de bain est recouverte de mosaïque. La porte d'entrée est dissimulée dans un "tronc d'arbre". - source Lise Antuns Simoes
Célèbre maison close de la fin du XIXe siècle, à Paris, Le Chabannais.  Les "chambres" ont un thème particulier, tel que la salon Louis XV, le salon Pompéen, la chambre indienne. La salle de bain est recouverte de mosaïque. La porte d'entrée est dissimulée dans un "tronc d'arbre". - source Lise Antuns Simoes

Célèbre maison close de la fin du XIXe siècle, à Paris, Le Chabannais. Les "chambres" ont un thème particulier, tel que la salon Louis XV, le salon Pompéen, la chambre indienne. La salle de bain est recouverte de mosaïque. La porte d'entrée est dissimulée dans un "tronc d'arbre". - source Lise Antuns Simoes

 Le gentleman pouvait choisir de se divertir au « Château » : dans une ambiance médiévale, un grand lit à baldaquin central occupait le milieu de la pièce. Des vitraux de couleurs faisaient office de paravent. Faisant face à un grand miroir, une peinture, signée par Jean-Baptiste Mallet, représentait une « jeune femme nue au sortir du bain », éclairée par la lumière de la fenêtre gothique. (*2)  Plus d’une fois, Rhett avait défait le chignon qui emprisonnait la coiffe blonde de Gwendoline, la prostituée occupant les lieux.

Peinture de Jean-Baptiste Mallet, 1759-1835, La salle de bain gothique, 1810

Peinture de Jean-Baptiste Mallet, 1759-1835, La salle de bain gothique, 1810

Il visitait souvent « Paris », sa pièce de prédilection qui lui rappelait les bons souvenirs de la capitale française. Corinne, l’hôtesse, avait une tignasse rousse, des yeux noisette et un sourire fripon. Sa tenue de soie transparente largement échancrée ne cachait rien de ses formes accueillantes. Le tableau choisi pour illustrer l’esprit du lieu lui convenait parfaitement : une femme à la longue chevelure rousse, entièrement nue, flottant lascivement sur l’eau protégée par des anges. (*3)

Peinture d'Alexandre Cabanel, 1823-1889 : La naissance de Venus, 1863

Peinture d'Alexandre Cabanel, 1823-1889 : La naissance de Venus, 1863

Il avait aussi utilisé les services des locataires de « Venise », « Amsterdam » et « Vienne » et avait admiré au passage une peinture de Venise, ses gondoles et voiliers frôlant le Palais des Doges au soleil couchant.

L’originalité de ce lieu de plaisir était le raffinement. Aucune faute de goût n’était admise, qu’il s’agissait des employées prodiguant leurs services que de la décoration intérieure de la « scène » où elles jouaient leur partie. Les gentlemen de la bonne société de Charleston, admis dans ce cercle restreint, exigeaient ici le même luxe que celui auquel ils étaient habitués dans leur maison familiale, avec femme et enfants.

Cinq soirs sur sept, huit jeunes femmes s’appropriaient ces loges particulières. Elles avaient été soigneusement sélectionnées par Pierre de Boulogne pour leur exceptionnelle beauté, un corps en pleine santé et une tête bien faite. Ici, la vulgarité était interdite, même leur rire était codifié. Leur niveau d’éducation devait leur permettre d’échanger intelligemment si, d’aventure, leur client avait envie de faire une digression culturelle avant leurs ébats.

Les jeunes filles ne devaient pas rester trop longtemps au Gentlemen’s Haven. Trois ans maximum de façon à ne pas lasser les membres réguliers mais assez pour qu’ils établissent des relations de confort.

Les prostituées pouvaient partir d’un jour à l’autre si elles le désiraient. Leur salaire était confortable, de quoi économiser pour pouvoir construire ailleurs une autre vie. Elles ne payaient pas de loyer et prenaient leurs repas en commun. Leur linge était pris en charge par la blanchisseuse.

Chaque mois, un médecin de confiance les auscultait et leur prodiguait tous renseignements et méthodes connues pour ne pas tomber enceinte et se protéger des maladies transmissibles. Au moindre petit rhume, elles s’arrêtaient de travailler pour reprendre des forces et ne pas contaminer leurs visiteurs.

De plus, Pierre de Boulogne avait institué un règlement sévère interdisant toute velléité de sadisme de la part des clients, quel que soit leur statut social. Si un de ceux-là avaient fait mine de frapper une des résidentes, il était immédiatement exclu du Club. Cela était arrivé une seule fois. Suffisamment pour que cette mesure de rétorsion soit propagée auprès des autres membres  et que les règles du bordel de luxe de Charleston soient respectées par tous. 

Hector, le majordome de l’étage, était chargé d’accueillir le gentleman entrant dans ce « havre ». Il lui signalait quels étaient les « lieux » disponibles pour lui à cet instant précis, et lui présentait les hôtesses du château, d’Amsterdam, etc... Il prenait grand soin à ce que l’invité ait à sa disposition alcools, cigares et petits fours. Sa troisième fonction, moins officieuse, était de garder les yeux grands ouverts sur tout événement qui pourrait gêner la sérénité des lieux.

En connaisseur, l’habitué du bordel de Belle Watling appréciait d’autant plus la classe d’un tout autre standing de celui de Charleston. La sophistication de sa ville natale était décidément bien supérieure à celle d’Atlanta, même pour ses maisons de plaisir.

 

Toutefois, une chambre devait restée interdite à Rhett. Il se l’était promis le premier soir où Hector lui avait présenté les huit résidentes : la pièce baptisée « Rome », avec son hôtesse, Rosetta. 

 Lorsqu’il l’avait entre-aperçue, la prostituée portait une courte robe drapée dégageant une de ses épaules, à la mode antique. Elle arborait une longue crinière brune bouclée, courant jusqu’au creux des reins. Une chevelure semblable à celle d’une certaine ancienne belle du County de Clayton. Sous le choc, Rhett eut instinctivement l’envie de s’emparer d’elle et d’enfouir sa tête dans cette cascade noire.

Il avait repris immédiatement ses esprits. Depuis son départ d’Atlanta, il était devenu expert à s’autocensurer lorsqu’un souvenir faisait ressurgir le fantôme de son ex-femme. Il s’employait immédiatement alors à cautériser les prémices de toute émotion.

Ce jour-là, il s’était fait la promesse de ne jamais succomber à la tentation de choisir Rosetta comme compagne d’un moment et franchir la porte de « Rome ».

oooo

En cette nuit du 27 mars 1875, comme d’habitude, Rhett fut accueilli par Hector qui l’invita à fréquenter l’une de ses chambres préférées disponibles. Le discret serviteur fut surpris par l’allure échevelée de ce client, d’ordinaire si nonchalant et élégant. Face à lui, un homme sentant fortement l’alcool, au regard perturbé, chancelait.

D’entrée, l’homme réclama pour la première fois la fameuse chambre « Rome ». Si Hector fut surpris, il ne le montra pas et s’en fut avertir Rosetta. Il y avait décidément quelque chose qui clochait ce soir chez le Capitaine Butler.

Rhett passa le pas de la porte de « Rome » avec la sensation d’un condamné acceptant sa sentence. Il savait ce qui l’attendait en choisissant la fille à la longue toison brune.

C’était une reddition caractérisée. Se faisant, il s’avouait enfin qu’il fantasmait de serrer Scarlett dans ses bras. Et, s’il fallait ce soir se contenter d’un succédané de sa femme, il n’avait pas le choix. Ce serait Rosetta.

La prostituée connaissait le gentleman de réputation. Ses collègues, qu’il choisissait d’ordinaire, ne tarissaient pas d’éloge sur l’amant rieur et généreux qu’il était.

C’est pourquoi elle fut décontenancée par le regard sombre de l’homme, ses mâchoires serrées.

Il s’avança et lui ordonna brutalement de se déshabiller et de s’allonger. (*4)

Peinture de Henri Gervex , 1852-1929, : Rolla, ou le suicide d'une courtisane, 1878, source Musée d’Orsay, Paris

Peinture de Henri Gervex , 1852-1929, : Rolla, ou le suicide d'une courtisane, 1878, source Musée d’Orsay, Paris

Pendant qu’elle s’exécutait, il retira la lavallière bleue qui enserrait son col de chemise.

Il se pencha vers la fille et lui noua le foulard de soie derrière la tête pour lui oblitérer la vision. Peu lui importait qu’elle le regardât. Mais lui ne voulait pas être confronté à d’autres yeux que ceux d’émeraudes de Scarlett. 

« Pas un mot, pas un bruit ! Tu as compris ? » Sa voix était glaciale.

La fille hocha simplement la tête. Elle avait l’habitude de satisfaire les demandes les plus incongrues de ses clients. Celle-ci n’était pas dérangeante.

Il s’allongea sur elle de tout son poids. Il n’avait pas pris soin de se déshabiller.

Il s’empara d’une mèche de cheveux, la roula autour de son doigt. Et il ferma les yeux. Sensation de soie. Il huma la chevelure. Ce n’était pas ça ! Ce n’était pas son parfum ! Mais, s’il y pensait très fort, peut-être que cela ferait illusion ?

Il sélectionna une plus longue natte et l’entoura autour du cou. Doux souvenir de moments de tendresse après l’amour quand Scarlett s’abandonnait tendrement entre ses bras…

Il noya son visage dans le cou de Rosetta jusqu’à ce que la chevelure de jais le recouvre entièrement et lui fasse office d’un drap de soie léger, si léger. 

« Scarlett ! »

Le mot était sorti. Il s’était tellement retenu... Presque deux ans. Non, il y avait bien plus longtemps qu’il l’avait tenue pour la dernière fois dans ses bras.

Après ce jour, il prit grand soin, lorsqu’il choisissait une putain, de ne surtout pas consciemment prononcer son nom au moment où il jouirait. C’était devenu un réflexe automatique juste avant qu’il se soulage. Un réflexe de survie qui lui ordonnait : Non ! Je ne penserai pas à elle.

Cette fois-ci pourtant, enveloppé sous la longue tignasse noire comme la nuit, il se permit de murmurer : «Scarlett ». Il se positionna contre le sexe de l’étrangère, sentant le désir le gagner.

Le Rhett qui avait toujours été un admirateur du corps de la femme et qui était généreux pour prodiguer du plaisir aux dames aux plaisirs tarifés, n’essaya pas ce soir de caresser ou embrasser la fille soumise sous lui. Il ne voulait surtout pas rompre le charme.

Or, jamais la peau de la fille ne pourrait égaler, et de loin, la texture si douce, si soyeuse, si élastique au toucher, de sa femme, si tendre là où Rhett avait enfin osé l’embrasser ce soir-là, si odorante dans son intimité qu’il s’en était enivré.

Pendant qu’il se perdait dans ses émotions, il eut la vision d’Ashley Wilkes enlaçant Scarlett, couchant dans le lit qui avait été le sien, parcourant la peau de son ex-femme, l’embrassant…

Fou de jalousie, il se révolta : « Non ! Pas ça ! Oh Scarlett ! » Son cri était désespéré.

La fille se demanda qui était cette Scarlett. Une amoureuse ? Une amante ? Certainement pas une épouse. Les hommes qui venaient ici ne cherchaient pas à prendre du bon temps en pensant à leur femme.

Pour Rhett, la digue des sentiments était ouverte maintenant. Le flot des mots d’amour enfouis depuis toutes ces années déferlaient.

« Scarlett, ma douce ! J’ai tellement envie de toi ! » Et il resserrait la tresse autour de son propre cou.

La fille de joie émit un grognement. Aussitôt il lui ordonna sèchement de se taire. « Pas un mot » t’ai-je dit ! » Il la maudit d’avoir interrompu cet instant fantasmé.

Oh non ! Ce n’était pas assez. L’illusion ne pouvait pas s’arrêter là !

Il fixa la coiffe de la fille, comme halluciné.

Sa mémoire le transporta dans la chambre de Peachtree Street. A cet instant, il s’imagina libérer le chignon de sa belle aux yeux de jade, et brosser ses cheveux jusqu’à ce qu’ils crépitent. Combien de fois s’était-il fait la réflexion, en se moquant de lui-même, que ce rituel avait tout d’une célébration d’un rite païen. Ce n’était pas une pensée à partager avec la belle de Clayton habituée aux éloges. Sa vanité en aurait été replète !  

Enfin affranchi de la censure qu’il s’était imposée ces dernières années pour ne pas réveiller les plus beaux souvenirs de leur union sexuelle, serré contre la chaleur de la fille de joie, il se rappela leur nuit de noces : sa crainte à elle, malgré ses deux précédents mariages ;  sa sidération à lui devant tant de beauté, et devant ce corps qu’il désirait depuis toujours.

D’une main experte, il se souleva légèrement, déboutonna son pantalon afin de libérer son érection et écarta un peu plus les jambes de Rosetta.

Le contact avec cette peau inconnue le projeta à nouveau vers sa première nuit passée avec Scarlett, pendant ces heures magiques.

Lisant sur son visage comme dans un livre ouvert, il avait saisi l’air surpris de sa jeune épouse appréciant les longues caresses qu’il lui prodiguait amoureusement. Le puceau Charles et le vieux Frank ne l’avaient pas habituée à ces doux attouchements.

A cette époque, Rhett avait pleinement conscience qu’il se réfrénait. Il aurait aimé l’embrasser plus passionnément sur chaque centimètre de son corps, la lécher, l’absorber… Mais il craignait de l’effaroucher. Il avait surtout peur qu’elle perçoive l’intensité de son adoration – et qu’elle s’en serve contre lui. Alors, jusqu’à la fameuse nuit de l’anniversaire d’Ashley, il comprima la puissance de ses étreintes jusqu’à se donner l’apparence d’un amant nonchalant.

Le soir de leur mariage, il l’avait abreuvée de baisers, et avait voulu prolonger ces moments intimes dont il avait tant rêvés depuis leur rencontre de 1861. Tant de nuits où il avait fantasmé qu’elle s’offrait à lui, lui ouvrait les bras, et le collait à elle en murmurant de plaisir, avec sa voix sensuelle : « Rhett !  Oh Rhett ! »

Elle avait sûrement prononcé son nom au moins une fois pendant l’amour pendant leurs années d’intimité. N’est-ce pas ? voulut-il se convaincre. Mais il en doutait fort.

Si ! Peut-être une nuit, la fameuse nuit.  Il avait tellement bu ce soir-là. Elle lui avait fait mal, tellement mal. Alors il avait été brutal. L’avait-il réellement violée ? Oui, s’était-il convaincu, en regrettant des centaines de fois sa violence. Malgré son esprit embrumé d’ivrogne, il se souvenait de sa sauvagerie. Oui, il l’avait forcée.

Mais, était-ce une hallucination ou, après toutes ces années, avait-il transformé ces brides de souvenirs en désir ou en réalité ? Avait-elle vraiment répondu à sa passion en l’étreignant à son tour ? N’avait-il pas rêvé de l’avoir entendu supplier : « Rhett, embrasse-moi ! Serre-moi plus fort, plus fort ! ». Avait-il fantasmé que cette femme tant désirée l’ait effleuré à son tour et qu’elle ait caressé furtivement son sexe jusqu’à ce qu’il crie de plaisir ?

D’un coup de rein violent, il pénétra la fille.

Surtout ne pas ouvrir les yeux. Conserver l’illusion, prolonger ce mirage pour qu’enfin son seul amour soit là, sous lui, qu’elle l’accueille dans sa chaleur.

Il sentait qu’il était proche. « Scarlett, je t’aime ! » Et il explosa.

Puis il se retira de la fille, se leva et resserra la fermeture de son pantalon.

Il regarda l’hôtesse de « Rome » et marmonna d’une voix sourde « Merci. » Elle avait enlevé la cravate qui lui occultait les yeux. Il ne la lui reprit pas, et quitta prestement la pièce.

Rosetta en resta éberluée. Comme cette séquence avait été étrange avec cet homme qui n’avait fait qu’embrasser ses cheveux avant l’acte, avait crié cent fois le nom d’une femme, pour ensuite la remercier !

ooo

En fait, Rhett Butler était reconnaissant à la prostituée de lui avoir donné l’illusion, pendant quelques minutes, d’être dans les bras de Scarlett O’Hara.

Dans le couloir, il réajusta son complet devant le miroir, dénué maintenant de lavallière. Son reflet lui renvoya l’image d’un homme désespéré qui n’arriverait jamais à éliminer le poison qui courait dans ses veines.

Rhett Butler (Source DearMrGable.com)

Rhett Butler (Source DearMrGable.com)

« Scarlett, que m’as-tu fait ? Comment puis-je continuer à vivre maintenant ? Ça fait si mal de ne plus pouvoir te toucher – Jamais ! Plus jamais… »

 Le cri qu’il avait poussé au moment de jouir résonnait encore dans ses oreilles. L’écho se reproduisait comme une déflagration. « Scarlett, je t’aime ! »

C’était dit.  Il l’avait enfin reconnu. La phrase lapidaire – Je me fous de ce que vous allez advenir - qu’il avait prononcée le soir de la mort de Melly, n’avait jamais correspondu à la réalité. Ou juste pendant une courte période, un mois, une semaine, une journée…

Son amour n’était pas mort. Il s’était simplement gelé. Entourant ses émotions d’une écorce dure et glaciale pour ne plus souffrir.

Et, ce soir, parce que la pensée d’Ashley et de Scarlett s’embrassant librement à Atlanta l’avait rendu fou, cette carapace venait d’éclater dans les bras d’une simple putain.

Rhett fut pris de panique face à cette vérité qui le frappait de plein fouet. En divorçant, il avait blessé mortellement la femme qu’il aimait. Il l’avait humiliée par sa cruauté. Elle ne lui pardonnerait jamais.

« Comment vais-je pouvoir continuer à vivre en sachant que plus jamais je ne vous tiendrai dans mes bras ? Plus jamais je ne respirerai votre parfum de gardénia, plus jamais je ne me délecterai du goût sucré de votre peau sous ma langue ! »

 

La panique s’empara de lui. Il eut l’impression de suffoquer. S’il ne pouvait plus jamais revoir la femme qui lui brûlait le cœur, à quoi bon continuer à vivre ? Toutes ces longues années qu’il allait devoir passer sans elle ! Comment supporter l’absence, ce manque de Scarlett, l’envie de Scarlett ?

L’intensité de la passion dévorante qui l’anéantissait à nouveau lui fit peur.

 Il fallait qu’il fuie. Comme il l’avait toujours fait, tant de fois, en s’arrachant d’Atlanta pour essayer de ne plus penser à elle, comme en décembre 1873.

Il allait partir en Europe, à Paris et Londres pour s’occuper de ses affaires.

Il se raccrocha à cette solution comme à une bouée de sauvetage.

C’était l’Europe, ou alors il allait craquer et prendre le premier train pour Atlanta. Et ensuite ? Etre confronté à un Wilkes revendiquant finalement d’avoir gagné le long combat qui les avait fait s’affronter à fleuret moucheté pendant quatorze ans ? Rhett n’avait pas le moindre doute que ce serait lui le perdant. Que Scarlett le rejetterait d’un revers de la main.

Il se redressa. Oui, l’Europe, c’est la solution ! Et puis, pourquoi ne pas aller aussi en Egypte comme la visite chez ce Vayton m’en a donné l’idée ? A l’ombre des pyramides sacrées, il allait se ressourcer. Il fallait qu’il reprenne des forces.

Et, qui sait ? Dans le silence éternel du désert, peut-être qu’une petite voix intérieure l’aiderait à sortir de ce précipice, et lui redonnerait l’envie de combattre ?

Il descendit les escaliers en tenant la rampe d’une main plus ferme. Ces émotions l’avaient dessoûlé. Il ne prit même pas la peine de regagner le salon central du Gentlemen’s club Haven. Sa décision était prise. Le lendemain, il allait réserver un ticket pour traverser l’Atlantique.

 

Au même moment, Duncan ouvrit la porte du fumoir et sorti, accompagné de John. Il surprit son voisin de Magnolias’ Mansion descendant du deuxième étage.

Il conclut : « Manifestement, Rhett Butler n’a pas perdu ses vieilles habitudes d’Atlanta ! »

ooooOOoooo

Auteur : Arlette Dambron.

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Notes de fin de chapitre :

(*1) Célèbre « maison close » parisienne au XIXe siècle, Le Chabanais - Jeter un œil à l’intérieur d’une maison close -  source : Lise Antuns Simoes, Les filles de joie -  https://www.liseantunessimoes.com/jeter-un-oeil-interieur-maison-close/

(*2) Peinture Jean-Baptiste Mallet, 1759-1835 : La salle de bain gothique, 1810.

(*3) Peinture d’Alexandre Cabanel, 1823-1889 : Naissance de Vénus, 1863.

 (*4) Peinture de Henri Gervex , 1852-1929, : Rolla, ou le suicide pour une courtisane, 1878, source Musée d’Orsay, Paris

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Commentaires des lecteurs sur mon roman "The Boutique Robillard" sur fanfiction.net et archiveonourown.org - Chapitre 13


Tru. chapitre 13 . 03 mai 2021 : Rhett a fui Atlanta, mais il n'a pas trouvé la paix à Charleston.
C'est triste comme il se désintègre ... et ne trouvera pas non plus ce qu'il cherche en Égypte. 

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Fais. chapter 13 . May 1 2021 : J'avoue que j'ai été un peu mal à l'aise quant au traitement de la prostituée, de la manière dont Rhett l'a utilisée. Je comprends que c'était une étape importante pour qu'il reconnaisse ses sentiments, mais personnellement... j'ai eu un peu de mal, on va dire.
En tout cas, ce n'est pas un exercice facile, que d'évoquer cette partie de la vie de Rhett, et je trouve que tu as été courageuse de t'y aventurer comme tu l'as fait. Comme toujours, c'est très bien écrit, avec beaucoup de références et de travail. J'ai hâte de voir comment tu vas décrire la réunion avec Scarlett, et sa réaction face à Vayton :)

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Kle. chapter 13 . Apr 29 2021 : Ce chapitre, je ne sais pas quoi dire! J'aime bien ton style en catégorie "M", c'est sur :)
En général je me sens assez mal après avoir lu que Rhett rende visite à ces genres de femmes, bien sûr une amante n'est pas trop mieux.. mais c'est trop triste et inquiétant de voir un homme intelligent faire quelque chose comme ça quand il est soi-disant amoureux ...Tu comprends probablement ce que je voudrais dire.
Mais finalement il a compris ses sentiments, même si il essaie d’occuper son esprit en voyageant et d’oublier. Donc il va allez en Europe pour quelques mois, et Scarlett et Duncan vont se rencontrer pendant ce temps.

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Guest Chapitre 13  2 mai 2021 : Je déteste les triangles amoureux et je ne me soucie pas de Duncan et je ne pense pas que Rhett serait jaloux de Scarlett après tout. Honnêtement, la seule chose qui resterait serait un sentiment d'injustice et d'humiliation qu'il lui ait permis de le traiter comme elle l'a fait. Mais je vois pourquoi tu es allée là.

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Guest Chapitre 13. 1er mai 2021 : Je ne pense pas que Duncan soit quelqu'un de rancunier, il accepte plutôt les gens selon leurs mérites, mais il a certainement maintenant des munitions contre Rhett qu'il peut tirer à bout portant si nécessaire. J'adore votre histoire, j'ai hâte d'en lire la suite.

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Guest Chapitre 13 . 30 avril 2021 : Grande mise à jour comme toujours. J'aime le fait que la confiance de Rhett Butler semble avoir pris un coup et qu'il n'a plus de combativité, dans la mesure où il croit que Scarlett est inaccessible. Il n'est plus le beau gosse débonnaire qu'il était et ne peut plus la séduire avec ses charmes. La seule façon pour lui de la récupérer est de montrer son vrai cœur et d'exploiter la connexion qu'ils sont les seuls à partager ! Deux cœurs brisés doivent se fondre en un seul.

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Rêvez-vous d'une autre fin à Autant en Emporte le Vent ? Lisez La Boutique Robillard
Chapitre 1 de la Boutique Robillard, Le Divorce

 

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